999 valises


Vous l’aurez compris, chez Mandorine on aime bien râler. Tant et si bien qu’on a créé une catégorie d’articles dédiée à notre activité favorite. Arsenio Iglesias inaugure aujourd’hui Le temps du goulag avec un pamphlet anti-valises à roulettes…

Il est certes vrai qu’il y a dans nos gènes une propension au nomadisme. L’appel de l’instinct est chez nous très fort, à l’instar des bipèdes qui sillonnaient jadis la vallée du rift, et l’envie d’aller voir ailleurs est souvent aussi irrépressible qu’urgente. Mais nos aïeux, dans l’immense sagesse de leur ignorance, avaient pour eux un avantage certain sur nous : ils n’avaient pas inventé la valise a roulettes

La horde sauvage

La nuit des valises roulantes

Avatar de la société moutonnière, le fracas indescriptible des roulettes de PVC sur des supports variés n’est d’ailleurs pas sans rappeler ces fameux documentaires de la British Broadcasting Corporation où l’on voit des troupeaux de bovins africains marteler le sol de la savane. Sensation tectonique aussi bien qu’angoissante, on sait toujours par avance la direction, le nombre et la masse dont sont lestés les possesseurs des valises. Il se peut d’ailleurs que les derniers irréductibles habitants des abords des gares, ayant enduré sans broncher pendant des dizaines d’années le ballet bruyant des trains plus ou moins ponctuels finissent par péricliter en raison du grondement infernal de ces engins, bruit atroce seulement appréciable par des amateurs de Djembé.

 
Pour l’humble usager de transports en communs, il n’est rien de plus terrible que de se trouver dans le flux de passagers se dirigeant vers une gare. En plus du danger inhérent de périr renversé par un de ces engins de mort, c’est là une vision dantesque de jeunes gens rentrant chez eux faire faire une lessive par leurs géniteurs (au lieu de picoler, achetez vous donc une machine à laver !), d’amoureux impatients de retrouver l’être aimé, de voyageurs de tout poil, dotés d’un bagage ressemblant plus en volume et encombrement au coffre de dot d’une élégante du XIXe qu’à un objet servant au transport des biens les plus élémentaires, et ce peu importe la durée du séjour.

Satanmsonite

Les ingénieurs responsables de cette horreur doivent être fiers d’eux. Encombrantes, difficiles à manœuvrer, solides et massives comme des tanks, ces horreurs plasticpunk que même Jules Vernes n’aurait osé envisager sont aujourd’hui partout, prêtes a vous rouler sur le pied. Leur embonpoint semble en effet donner une sensation de puissance hypertrophiée a leur propriétaire, qui rejoint ainsi au panthéon du « pousse-toi de là que je m’y mette » les possesseurs de 4×4 ou de poussette tuning. D’autant que la douleur est plus vive si l’engin est bien chargé, ce qui ne manque pas d’arriver puisque « de toutes façons j’ai la place ». Optimisation, organisation, aller à l’essentiel, notions disparues à jamais, écrasées par ces roulettes en plastique. Ce que nos anciens faisaient quand ils partaient à l’aventure (ou du moins avaient-il le bon goût d’avoir porteurs et/ou bêtes) et que nous avions conservé plusieurs génération plus tard à travers les sacs à dos ou les valises à poignées, tout cela est jeté aux oubliettes.

Et comble de l’ironie, quand les infâmes roulettes en pétrole polymérisé ne peuvent plus accomplir leur funeste devoir, pour cause d’un simple escalier par exemple, ce n’est pas à un congénère valisiste que l’apeuré(e) charrieur de slips sales pesant autant qu’une stère de bois demandera un coup de main, mais souvent à la personne saine d’esprit et bien charpentée la plus proche. Qui aura eu la bonne idée de voyager léger.

Ah le bon temps du goulag…