Comme la grenouille sur son nénuphar – Tom Robbins


Vous vous appelez Gwendolyn Mati. Vous êtes une jeune femme philippino-américaine, trader de votre état. Nous sommes dans les années 90 et la Bourse subit un krach retentissant. Votre compagnon – par intérêt, il est riche – est trop angoissé par le sort de son singe kleptomane André, qui s’est échappé, pour s’inquiéter de vos obsessions financières. Quand vous vous tournez vers votre seule amie, Q-Jo’s, pour qu’elle vous conseille – elle est voyante-, elle disparait. Débarque alors un trader repenti, à peine revenu de Tombouctou, obnubilé par la sauvegarde des grenouilles, qui vous révulse et vous attire à la fois… Ajoutons à cela un cancérologue nippon qui pense avoir trouvé le remède miracle à ce mal, quelques mystères sur la civilisation Dogon et des théories  obscures impliquant l’usage de psychotropes… Vous allez vivre le pire weekend de votre vie. Le pire, vraiment ?

Nous ne sommes pas dans le délire d’une victime de la grippe A H1N1. Nous sommes dans un roman de Tom Robbins.

Pour ceux qui ne visualiseraient pas Tom Robbins, il est l’auteur de plusieurs romans aux scénarios délirants et satiriques et aux contextes sociaux forts. Even cowgirls get the blues (1976) a d’ailleurs été porté à l’écran par Gus Van Sant. Comme la grenouille sur son nénuphar (1994) est un de ses romans les moins connus mais grouille de références aussi diverses que nébuleuses : les idées de Larry Diamond, le trader repenti revenu de Tombouctou, auraient particulièrement été influencées par les idées de Terence Kemp McKenna, un auteur-philosophe américain, ami personnel de l’auteur, et persuadé que l’homme descend de singes drogués. Nanouk m’a d’ailleurs fait remarquer que, au vu de ma description, ce livre ferait penser à l’union d’American psycho, pour son côté absolument glaçant, à un livre d’Hunter Thompson (qui a écrit l’excellent Las Vegas parano, aussi porté à l’écran) pour l’aspect complètement délirant du scénario. American psycho m’a profondément ennuyée, mais il est vrai que le regard que porte Gwen sur autrui est similaire à celui de Patrick Bateman. « Laisse-moi regarder comment tu te fringues, je te dirais si tu es digne de mon intérêt. » Et qu’elle est aussi très agaçante. Pour Hunter Thompson, je confirme, ceux qui on adulé Las Vegas parano ne devraient pas se sentir perdus en lisant Comme la grenouille sur son nénuphar. On a parfois l’impression que ce roman a été écrit sous LSD, du moins les grandes lignes de l’histoire. Car le style d’écriture est maitrisé de bout en bout et fourmille de jeux de mots réjouissants.

Un mot sur l’intrigue, donc. Première chose : on ne s’identifie pas aux personnages. Gwen est trop cynique, son copain trop perché, son amie trop exceptionnelle, et l’ex-trader trop insaisissable. Pourtant, ces personnages agaçants sont fascinants. L’univers de Tom Robins est complètement farfelu. On y croise même une ex-starlette de cinéma blonde, reconvertie dans la défense des animaux, qui organise une opération commando pour sauver un singe kleptomane. Dans un style mordant, il développe une histoire insensée avec pour arrière-plan une crise financière bien réelle et toujours d’actualité. Et en profite évidement pour égratigner le modèle économique en place.

Tom Robbins nous place donc dans la tête de Gwen tout au long de son récit. On observe ses décisions, ses pensées, ses choix, souvent immoraux, ses doutes et ses angoisses. J’ai d’ailleurs eu plusieurs fois envie de gifler notre material girl pour la réveiller de ses obsessions de trader. C’est cette ambiguïté de la répulsion/attraction qui m’a d’ailleurs poussée à en lire plus.

comme-la-grenouille-sur-son-neLa lecture de Comme une grenouille sur son nénuphar est amusante et prenante, malgré des descriptions (digressions?) parfois longuettes. Ce roman nécessite de la patience : il m’est tombé plusieurs fois des mains, mais pas pour très longtemps. Je mourrais d’envie de connaître le dénouement du weekend de Gwen. Allait-elle s’entêter dans son obsession de l’American dream, de l’argent à foison, et chercher à sauver sa carrière (car la solution existe, en un sens) ? Ou allait-elle choisir un style de vie parallèle, et devenir, disons, humaine? La réponse dans ce livre jouissif. Tarot, grenouilles et étoile de Sirius en perspective…

Comme la grenouille sur son nénuphar

de Tom Robbins

Gallmeister

432 pages, 24€90 (prix éditeur)

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