Fondu au Noir


La cage d’escalier était sombre quand je descendais les trois étages de l’immeuble. Le bouton blafard du minuteur cassé semblait me narguer tandis que j’atteignais enfin la boîte aux lettres. Dedans, un colis m’y attendait, tel un petit cercueil de carton, comme un présage à ce qui allait suivre. Je le glissai dans ma poche et partis pour mon bureau en espérant qu’enfin une affaire digne de ce nom passe le seuil de ma porte.

Trois heures et cinq cafés plus tard, je dus me rendre à l’évidence : c’est pas encore aujourd’hui qu’un milliardaire en détresse allait débarquer avec cinq mille dollars en cash pour retrouver son chat. Je me rappelai alors de la petite boîte de carton que le matin même mon aimable postier avait daigné laisser pour moi dans sa tournée. Dedans, un livre, À chacun sa mort de Ross Macdonald. Quel était donc ce message caché?

RossMcdonald

Feutre mou et regard perçant, une autre gueule que son homonyme Ronald

Je décidais que l’enfermement devait prendre fin et pris ma voiture pour filer à travers le boulevard engorgé de jeunes gens bronzés conduisant des décapotables. Direction, les archives de Santa Wikipédia. Quand on veut aller à la pêche aux infos, pas le choix, il faut commencer par faire ses petites recherches, et si une charmante archiviste vient me donner un coup de main ça ne sera pas pour me déplaire. Comme j’aurai pu m’en douter, Ross Macdonald est un pseudo, le bonhomme s’appelle en fait Kenneth Millar. Californien, ayant grandi au Canada, états de service à la marine irréprochables, puis carrière d’écrivain à succès, rien que que de très classique.
Le style : polars de privés, à l’ancienne et sans fioritures, salués par ceux qui s’en considèrent redevables : Auster, Ellroy, Connely. Sacrées références. Mais alors pourquoi ce bouquin? Pourquoi moi? L’archiviste, un peu éloigné de mes fantasmes initiaux, avec sa bedaine de buveur de bière et sa moustache qui aurait pu me permettre de reconstituer ses cinq derniers repas, me suggéra tout simplement de le lire. Pas bête.

Je décidai alors de filer plein sud pour m’éloigner de cette atmosphère pesante d’un port de la lune qui n’en a en fait que le nom. Je parcourus d’interminables kilomètres sur un ruban de bitume serpentant entre champs d’orangers et collines où les bêtes, paissant sur les prairies arides, cherchaient un peu d’ombre auprès d’arbres semblables à de grands champignons feuillus. Sans but ni destination, je m’arrêtai au bout de mes forces dans un motel au moins aussi fatigué que moi. Sentant la sueur, mal rasé et las de tout, je passais à l’accueil où un réceptionniste qui avait probablement oublié quelques syllabes chez lui, me donna une chambre dont le confort, que je qualifierai pudiquement de spartiate, allait, je l’espère, me permettre enfin de tirer au clair toute l’affaire sur cette curieuse livraison.

A-chacun-sa-mortUne fois rafraichi par une douche et un rasage, je choisis d’aller déguster un scotch au bar le plus proche tout en regardant ce que ces trois cent pages avaient dans le ventre. Fille en détresse, acteurs de seconde zone bas-fonds et truands minables, tout cela m’était aussi familier qu’agréable à la lecture.

Le pitch, comme on dit chez les agents artistiques de West Hollywood, est simple : un privé, Lew Archer, est engagé par une mère aux abois après que sa chère fille, aussi belle qu’intelligente, se soit entichée d’une petite frappe et n’ait plus donné de nouvelles pendant des semaines. Classique, mais l’écriture, à la fois typée et drôle, ainsi que sa galerie de personnages déglingués, du genre de ceux qui se cachent à l’ombre des paillettes de la machine à rêves, me captiva autant que les insectes dansant dans les lumières des réverbères captivaient les tarentes venues faire là leur repas du soir.

De retour dans ma chambre, alors que la chaleur étouffante m’obligea à faire marcher un air conditionné encore plus bruyant que si je m’étais trouvé à dormir sur une piste du LAX, je me rendis à l’évidence. Cette lecture m’avait fait passer un sacré bon moment : femme fatale, flics désabusés, drogue et dessous de la Californie interlope, ces classiques ultra-rabâchés ont ici une saveur authentique, rappelant les grands classiques de Hasmmett ou Chandler sans les singer pour autant. Mais la question demeurait. Pourquoi moi? Pourquoi ma boîte aux lettres? Pour me faire admirer la qualité des rééditions de Gallmeister, avec du papier de qualité et une impression 100% française à faire s’enorgueillir Arnaud Montebourg? Le cœur aussi lourd que mes paupières, je sombrai dans le sommeil en songeant que cette fois-ci, non, je ne résoudrais pas l’affaire qui m’avait été livrée.

Vivement la prochaine.

 

À chacun sa mort

de Ross Macdonald

Éditions Gallmeister

300p. 2013, 10€