Halloween or lose


Il n’est pas dans nos habitudes ici à Mandorine de nous moquer de célébrations plus ou moins utiles ou farfelues, mais on peut encore faire abstraction à la règle en voyant débouler dans nos phares la plus bancale des greffes festives en notre riante contrée des fromages, celle de l’anglo-saxon Halloween. Pourtant ce n’est pas faute d’avoir été habitués, références états-uniennes obligent. En effet abreuvés que nous sommes de films certes, mais surtout de séries avec leurs épisodes spéciaux, force est de constater que déferlement de goules et de fantômes, en cette soirée devenus amicaux, nous fait à peine lever un sourcil d’étonnement, et que les seules entités à craindre cette célébration sont les pauvres citrouilles sacrifiées par milliers.

T’as pas les goules

Comme souvent, cette fête aujourd’hui rentrée dans les mœurs est la probable christianisation d’une coutume païenne. Ici point de sacrifice de vierges ou de poursuite de jeune fille en fleur mais une fête celtique, le Samain, menée de main de maître par des druides, célébrant ce passage de la saison claire, celle des moissons et des joyeuse étripades guerrières, vers la période sombre, où le fier celte restait au chaud avec bobonne pour la durée de l’hiver. Ces quelques jours de transition étaient également l’occasion pour le monde des dieux et des âmes des ancêtres de faire un petit tour parmi les mortels, prétexte pour les accueillir avec une série de manifestations diverses dont la beuverie – seul héritage étant arrivé jusqu’aux fêtes pour grandes personnes « spéciales Halloween » – était un des piliers principaux. Les Papes et autres béats firent rapidement rentrer ces sauvageries dans les rangs, et la date festive servit alors à célébrer tous les saints, même les plus improbables, ainsi que tous les morts, après tout pourquoi se priver de récupérer les bonnes idées. Et ceux qui voulaient voir en ce mot une origine gaélique et mystérieuse, limite ésotérique, en sont pour leurs frais : il ne s’agit en fait que de la contraction de l’anglais « All Hollows Eve », littéralement veille de la Toussaint. Comme appellation démoniaque on a déjà vu mieux.

Six trouilles

« Les filles, j’ai comme un mauvais préssentiment… »

C’est finalement un des paradoxes de cette célébration relativement fraîche sur nos terres. A l’époque jeunes et fous, les cheveux longs tombant sur nos chemise à carreaux et rêvant de cette Amérique des Thanksgivings et des Halloweens vue dans Friends ou Buffy, on se prenait à rêver que cette fêtes cool et détendue vienne remplacer les pas très punks fleurissements de tombes avec (ou de) mémé. Sorte d’orgasme collectif pour les fleuristes et les producteurs de chrysanthème, cet interlude de novembre, loin de nous replonger dans les histoires héroïques de notre panthéon familial comme à l’époque des guerriers celtes, fleurait bon l’ennui et la déprime. Pas de sorcières, zombies ou déguisements, et les seules toiles d’araignées que l’on voyait sur les murs étaient les celles que daignaient nous laisser les pholcus ou les tégénaires des murailles. C’est sans compter la puissance du lobby des cultivateurs de cucurbitacées, las de les voir finir dans de vulgaires potages, et d’un coup de pouce de la petite corporation de la grande distribution, qui fleurant le bon coup, vinrent, tels des Dr Frankenstein de la fête, greffer Halloween à notre calendrier.

Fantômou

Sculpter un navet, ça c’est flippant

C’est là où l’on se rend compte que finalement c’est là où le bât blesse. A l’instar de toute chose relevant d’un certain folklore, il est d’autant plus excitant de le vivre sur place qu’ennuyeux à reproduire ailleurs. S’il est sympathique de se plonger à Portland, Oregon, au cœur de l’Amérique pour se délecter des folles décorations ou de l’ambiance clairement joyeuse d’une fête présente depuis 200 ans, immigration grand-bretonne oblige, de vivre le grand frisson au Canada, non pas à cause des spectres mais plutôt à cause des ours polaires en maraude ou de se la jouer roots en remontant aux origines celtiques de la célébration en allant sculpter des navets au cœur de la campagne irlandaise, ce qui convenons-en est vachement plus dur et plus classe que de travailler une citrouille de 15 kilos, c’est tout de suite moins classieux de faire la même à Gradignan ou au Plessis-Macé. De la même manière que le camembert, si savoureux chez nous, devient fadasse passé à la moulinette des goûts japonais, cette transposition des formes sans le fond ne fait qu’accentuer le fait qu’on cherche à nous fourguer la chose de façon aussi peu élégante qu’un télévendeur de magasin de meubles. Dommage au final qu’on n’ait pas essayé de nous implanter la très classieuse (mais peu commerciale) fête des morts Mexicaine. Et même si on s’y habitue, et même parfois on y prend un honteux plaisir, comme pour les très geek-trendy Zombies walk que Laurent Wauquiez semble plébisciter, on se dit que cette pâle copie ne vaut pas l’original.

Et pourtant désormais les enfants, nos enfants, ceux qui n’ont jamais connu l’héroïque époque sans téléphones portables, se baladent dans la rue déguisés en sorcière crômeugnonne ou en zombietrochou, réclamant leur dû en bonbecs dans le cérémonial du trick-or-treat que jadis nous jalousions. Ce soir mangeons donc tous les bonbons pour leur rappeler que comme dans le bon vieux temps, la Toussaint, ça craint.