Ils? Elles? Non Eeels.


Mark Oliver Everett est un type admirable. Et je ne dis pas ça pour sa jolie barbe, qu’il a fichtrement fournie, gage de qualité de la personne chez la gent masculine (et chez les femmes a barbe), mais surtout en raison de ce qu’il a produit musicalement ces 15 dernières années caché sous le nom de Eels.

Maïté pour Némesis

E, un homme qui ne laisse pas de glace

On pourrait le penser insaisissable, comme l’anguille qu’il a choisi pour le représenter musicalement. Or MOE est en réalité un type transparent comme l’eau de source si on se donne la peine d’écouter sa discorapie (habile mélange de discographie et de thérapie). Il s’y raconte en effet sans artifices, et prêter ouïe à l’un de ses enregistrements permet de connaître son baromètre émotionnel de l’époque.

Et comme il ne s’était pas assez mis a nu dans les paroles de ses chansons, le voila qui s’est mis à écrire sur du papier. « Bah, une énième rock-star égocentrique vient nous raconter sa vie, de l’époque Cosette à la Rolex avant les 50 ans, tout cela écrit par un nègre littéraire servile, on a déjà vu ça mille fois ». Soit. Sauf que la vie de notre barbu est racontée dans une première personne a la fois lucide et poignante et que le tout se lit plus comme un roman sur l’industrie musicale et les tuiles de l’existence (fort nombreuses dans son cas).

Ma famille habite dans le cimetière (ces gens-là ne font pas de manières).

Le titre en VO est « Choses que mes petits enfants devraient savoir », plus subtil que la VF qui ressemble plus a la traduction québécoise d’un titre de film d’action couillu qu’à une œuvre sensible et mélancolique. Le titre recèle d’autant plus d’ironie que le bonhomme n’a même pas d’enfants à bientôt 50 ans, et qu’il est actuellement le dernier membre encore sur terre de sa famille. Et cette solitude transpire dans toutes les pages. Il faut dire qu’a la bourse du malheur, les actions de la famille Everett doivent valoir leur pesant d’or. La vie de Mark commence pourtant sous les auspices de l’American Way of Life des 60’s avec petite famille unie, maison de suburbs et pickett fences, grosse américaine sur l’allée de garage et père taiseux. Ce père, par ailleurs célèbre mathématicien est le premier a subir les foudres du destin, puisque trouvé raide mort par un MOE a peine sorti de l’adolescence. Suivront sur la liste de la Camarde la sœur, la mère, des amis, et même une cousine hôtesse de l’air un certain 11 septembre. Poissard.

Seul sur son Eels

Le cigare vient en option avec le succès

Pourtant, même si le livre mentionne ces histoire glauques et nous émeut en ne nous épargnant aucun détail, il est aussi un document passionnant sur le processus de création ainsi qu’un instantané de ce qui a été l’âge d’or de l’industrie musicale. Les 90’s, époque bénie pré-haut débit où surgirent les derniers phénomènes du rock et ou les disques compacts se vendaient par camions entiers, voilà planté le décor des premières années de Eels. C’est dans ce LA que l’on imagine rempli de producteurs bronzés et gominés que le torturé Mark Oliver réussit tant bien que mal à aller au devant des aléas de sa vie de merde (la vraie, pas celle où on se casse un ongle et on le poste sur un site dédié) et à signer sur une major grâce à un tube, Novocaine for the soul, qui au passage nous ramène à une époque pas si lointaine où un succès pouvait être de la musique franchement potable. Et à leur faire publier des disques aussi magnifiques que déprimants, à l’image d’un Electro-shock blues, déballage en notes mineures du suicide de sa sœur et de l’agonie métastasée de sa mère. C’est tous les paradoxes de notre ami Marc Olivier, qui a choisi d’exorciser malheurs, déprimes et sautes d’humeur dans des chansons sombres et guillerettes, d’écrire ce livre dont il jure qu’on ne l’y reprendra pas de sitôt et d’habiter Los Feliz (la joie en espagnol, ça ne s’invente pas) pour sublimer ses peines.

 

Pour ceux d’entre vous qui ont la chance de ne pas encore connaître, Eels c’est ça

ou ça

 

Tais-toi ou meurs

de Mark Oliver Everett

13e note editions Collection Littérature Étrangère

288 pages 19€

Mai 2011