Jason Lytle – Yours truly, The Commuter


Il y a quelques années un groupe de barbus lunaires perça et nous offrit quatre albums et quelques maxis de toute beauté. Synthèse parfaite de scène hardcore post-pubère et d’expérimentation aux relents pinkfloydesques, lestés d’une mélancolie insondable mais partant dans des envolées lyriques d’une légèreté incroyable, Grandaddy nous donna dans ses disques la sensation d’être embarqués dans des montagnes russes émotionnelles. Las, après la publication  de leur dernier album, Just like the fambly cat, Jason Lytle, âme et moteur du combo, jeta l’éponge, miné aussi bien par les affres de sa créativité que par la difficulté d’être au sein d’un groupe aussi apprécié que marginal.

Quatre ans plus tard le revoici requinqué et aux commandes d’un album solo prouvant bien qu’il était à lui tout seul Grandaddy. Délaissant l’oppression de la vie à Modesto, ville sous la gouvernance de Swartzie mais oubliée de la Californian way of life, l’éternel ado écolo, skater et fan des Simpsons a concrétisé ce que son look de bûcheron (chemises à carreau, casquette John Deere et barbe de zz-top) laissait entendre depuis des années : finie la vie d’ermite urbain, direction les grands espaces. Le Montana plus précisément, où, en pleine nature, il a patiemment remonté son home studio fait de bric et de broc, où guitares vintage côtoient des claviers aux sons étranges.

Disque de la liberté, de la renaissance ou de la continuité, selon les probables mots à venir des rock-critics de tous poils, Yours truly the commuter est surtout celui des retrouvailles avec un vieux pote, qui ne nous a jamais vraiment quittés, malgré quatre longues années de silence pour cause de reconstruction mentale en pays montagneux. De cet Into the wild musical est donc sorti une œuvre délicate et mélancolique, qui donne à tout auditeur du disque l’irrépressible envie d’aller lui aussi s’isoler dans les montagnes à contempler la beauté de la nature. Délaissant les côtés rugueux de certains morceaux de l’opus final de Grandaddy, Jason Lytle en a conservé la délicate tristesse qui suintait de toutes les pistes. Composé en majorité pendant le rude hiver du Montana, le disque en possède cette succession de tempêtes de neige et de grands moments de beau temps, que l’on sent à travers ces chansons tristement joyeuses écrites en accords mineurs.

Délaissant les nappes de guitares sursaturées mêlées aux synthés sous prozac ayant été la marque de fabrique de feu son groupe (seul le morceau It’s the weekend, au passage le plus quelconque du disque, fait la filiation directe avec Grandaddy), Jason Lytle nous a ici concocté un ensemble de titres guitare/claviers que l’on imagine chantonnées au coin du feu. Artisan au meilleur de son art, il ouvre son album par une de ces chansons dont il a le secret, portant la triste ironie du créateur à la fois solitaire et homme public subissant les obligations sociales du music business. Album calme et mélancolique, Yours truly the commuter est un disque qui signe le retour sur terre en douceur de son créateur.  Ghost of my old dogs, I Am Lost ou encore Rollin’ Home Alone, sont quelques uns des titres évocateurs d’un état d’esprit encombré d’un spleen poisseux. Pourtant, tel un Brian Wilson des montagnes, Lytle a pris le temps d’ordonner ses pensées les plus sombres pour nous les restituer dans le plus lumineux et soyeux des écrins, nous promettant pour la suite (lire l’interview) encore plus de bricolages sonores stratosphériques.

L’hiver fut rude, le printemps n’en sera que plus beau.

Le disque de Jason Lytle est disponible dans toutes les bonnes crèmeries culturelles, virtuelles ou non. Vous pouvez également vous faire une idée en regardant la sélection suivante, forcément subjectives, de chansons de Grandaddy.

Yours truly, The Commuter

de Jason Lytle

Anti-records

Sorti le 19 mai 2009