Lé matou di Rabbi


Le chat du Rabbin.

En ce début de mois de mai, avait lieu l’avant-première bordelaise du second film de Joan Sfar. Avant-première qui s’avère être la première projection grand public du film. Avant ça quelques projections aux distributeurs et producteurs mais aussi aux communautés représentées dans le film.

Après Gainsbourg (vie héroïque) , Joan Sfar adapte cette fois-ci, sa propre bande dessinée et co-réalise avec Antoine Delesveaux.  L’histoire de départ est la suivante :  Alger, années 1920. Le rabbin Sfar vit avec sa fille Zlabya, un perroquet bruyant et un chat espiègle qui dévore le perroquet et se met à parler pour ne dire que des mensonges. Le rabbin veut l’éloigner. Mais le chat, fou amoureux de sa petite maîtresse, est prêt à tout pour rester auprès d’elle… Et ce n’est que le point de départ des aventures de ce chat.

D’après Joan Sfar lui-même, dans un premier temps, il ne souhaitait adapter que le premier tome de sa série (en cinq volumes), imaginant réaliser une simple chronique de la vie à Alger. Mais aidé par sa compagne, il décide de donner plus d’ampleur au projet en développant l’idée de voyage initiatique, le film est donc une compilation de plusieurs tomes.

Mais cette chronique qui devient un voyage est surtout prétexte à la dénonce de la bêtise humaine dans tout ce qu’elle a d’universelle.  Les trois grandes religions monothéiste que sont le judaïsme, l’islam et le christianisme en prennent pour leur grade. Trois croyances avec des bases communes mais qui s’opposent depuis des siècles parce que les Hommes sont ce qu’ils sont.  Le film dénonce les préjugés, le racisme et les mal-interprétations des différents livres saints. Et il fait tout cela en dédramatisant avec beaucoup d’humour, de tendresse et de pertinence.

Joan Sfar lors des questions post-projection, rappelle que son nom de famille, d’origine juive a été arabisé il y a plusieurs génération pour faciliter le commerce avec la communauté arabo-musulmane. Safar est devenu Sfar, qui peut se traduire par jaune en arabe. Jaune comme l’humour dans le film, qui s’additionne à l’humour juif également insufflé dans ce métrage qui commence son action dans le milieu des juifs du Maghreb d’Alger.  La fusion de ces origines lointaines est illustrée dans le film par le Rabbin Sfar et par le Cheikh Sfar son cousin, mais les deux Sfar se retrouvent lors d’un pèlerinage sur la tombe d’un ancêtre commun, démontrant ainsi qu’on vient tous du même endroit.

Zlabya, la fille du Rabbin, est selon les propres dires de Joan Sfar à l’image de ses mères juives rêveuses qui voient le monde depuis leur fenêtre, des voyageuses immobiles qui voyagent grâce aux livres et aux récits des autres. Ça m’a beaucoup rappelé le roman graphique em>Calcutta de Sarnath Banerjee.

Joan Sfar mélange dans son film, et donc avant ça dans sa bande dessinée, des anecdotes familiales, du folklore juif, des légendes du Mahgreb, une histoire de tolérance, de colonialisme et beaucoup d’humour.  Il évite tout les stéréotypes et autres clichés  auxquels on pourrait s’attendre de ce mélange livrant  donc un film à la fois divertissant (et pas qu’un peu) et intelligent.

Il y est donc question de religion mais aussi de colonialisme au sens large avec tout ce que cela implique de préjugés et de condescendance. Les français n’acceptent pas les « étrangers » dans leurs  cafés, les noirs sont des singes et les africains ne se lavent pas etc. Tout cela est montré avec le même humour que pour le reste et vient enrichir un peu plus le film.

Toutes ces petites histoires de la grande Histoire et plus encore nous sont contées par le biais du dessin animé, des dessins 2D traditionnels mais augmentés et diffusé en 3D dans les salles équipées.  La 3D est souvent décriée (par votre serviteur entre autres) pour son inutilité dans beaucoup de films mais on doit bien reconnaître que Le chat du Rabbin utilise le procédé de façon magistrale. La profondeur apporté met en valeur l’action, la dimension narrative en est augmenté, on a une impression de fluidité et les décors sont sublimés. Du port aux rues d’Alger, en passant par ses intérieurs mais aussi l’Atlas, la savane ou le désert, ils ne perdent rien de leur beauté et de leur puissance mais ne cannibalise pas les personnages et l’action.

Une des grandes forces du film est son doublage, c’est François Morel (ex Deschiens) qui prête sa voix au chat, Hafsia Herzi  est la voix de Zlabya la fille du Rabbin, Maurice Bénichou est le rabbin Sfar, ils sont formidables et contribuent amplement à rendre vivant ces personnages  et le reste du casting composé de François Damiens, Mathieu Amalric, Jean Pierre Kalfon ou l’humoriste Fellag  n’est pas en reste, chacun apportant des caractéristiques propres qui rendent crédibles les personnages. Une autre signe d’une belle réussite.

La musique dirigée par Olivier Daviaud (déjà à l’œuvre sur le premier film de Joan Sfar) est interprétée magnifiquement par AKN et Enrico Macias et sa guitare andalouse. Quand il commence à entonner le générique de fin, on peut avoir une légère hilarité pendant quelques secondes pour mieux se dire qu’en fin de compte ça colle parfaitement à l’esprit du film et à son ton.

Le film rappelle par bien des cotés le Persepolis de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, Histoire, Humour, religion, modernité, souvenirs et fictions. Le chat du Rabbin pourrait être au monde Judéo- arabe ce que Persepolis est au monde Perse, une vision humaine, humaniste, tendre et acide à la fois de sociétés, de régions du monde qui connaissent les conflits depuis longtemps.

 

 

 

Hautement recommandable donc.

 

Le chat du Rabbin

de Joan Sfar et Antoine Delesveaux

1 Juin 2011

avec les voix de François Morel, Maurice Bénichou, Hafsia Herzi, Mathieu Amalric, Jean pierre Kalfon, Fellag, François Damiens ...