Le Hobbit annoté


En 1937 paraissait The Hobbit, or There and Back Again, première histoire publiée de Tolkien se déroulant dans la fameuse Terre du Milieu. De nos jours, et cent millions d’exemplaires vendus plus tard, Christian Bourgois éditeur ressort une nouvelle traduction du récit. Sans médire de la traduction de Francis Ledoux, la précédente, lui qui fut aussi en charge de celle du Seigneur des anneaux, cette nouvelle édition fait un bien fou.

Pour être clair avec nos lecteurs, cet article traitera de l’édition annotée du Hobbit. En effet la maison d’édition en charge a sorti en plus une version classique, tout aussi valable, et une troisième avec une tripotée d’illustrations d’Alan Lee, artiste reconnu pour son affection vis-à-vis de cet univers particulier.

Nains et dragons

Et pour les personnes découvrant Le Hobbit, voici son synopsis : un magicien nommé Gandalf recherche un aventurier pour accompagner une bande de treize nains, ceci afin de reprendre possession d’un trésor gardé par un dragon. Gandalf choisit pour ce faire un hobbit, semi-homme dirons-nous commodément, qualifié de gentleman cambrioleur, le mieux à même d’exfiltrer le trésor au museau et à la barbe du dragon. Pleins d’aventures égayent le récit, ayant pour cible principale la jeunesse ; Tolkien l’avait d’abord écrit pour ses enfants. (Marc Lévy a eu la même démarche pour son premier livre, mais je me garderai d’avancer dans le parallèle.)

Le Hobbit annoté

La couverture du « Hobbit annoté »

Il s’avère que Tolkien inventait régulièrement des histoires pour ses enfants. L’aisance avec laquelle on plonge dans Le Hobbit y a probablement son origine. Et sa publication a tenu à l’avis d’un garçon de dix ans ! Il s’agissait de Rayner Unwin, fils du patron d’Allen & Unwin, qui, on le sait moins, gérera la maison d’édition par la suite, et donc l’œuvre de Tolkien. N’empêche que pour le p’tit bonhomme qu’il était en 1936, Le Hobbit plairait aux enfants de cinq à… neuf ans.

Bon. Mais quel intérêt d’éditer une version annotée, avec une marge aussi large qu’un doigt ?, m’interrogerez-vous. Cette question est pertinente, cependant pour tout individu désireux d’approfondir ses connaissances sur les influences de Tolkien, elle n’a pas lieu d’être. L’édition que, je le souhaite, vous tiendrez bientôt entre vos mains est une mine d’informations. Certaines relèvent du détail, comme les coquilles au fil des éditions anglaises. D’autres peuvent être considérées comme plus précieuses : les sources de récits païens, des poèmes antérieurs de Tolkien, ou l’influence de livres de jeunesse contemporains du temps d’écriture du Hobbit. On apprend que Gandalf est un nain, par exemple, dans l’Edda poétique (le grand texte de la mythologie nordique), au même titre que les treize autres. Ou que le mot « hobbit » existait déjà dans le folklore anglo-saxon, ce que Tolkien n’avait pu manquer.

Images et magie

Au fil des pages on peut apprécier les multiples vignettes des illustrateurs de tous les pays, et ayant trait à l’histoire en cours. Vous savez peut-être que les hobbits ont les pieds diablement poilus ; l’illustrateur russe (soviétique à l’époque) a recouvert les jambes et les pieds de Bilbo de poils, car en langue russe le mot pour jambe et pied est identique. Ou encore, l’illustrateur allemand qui donne au Grand Gobelin une allure étonnante, très proche d’un shogun ! Notons aussi que Tove Jansson, auteur suédoise de Moumine le Troll, s’est aussi en son temps chargée d’illustrer l’histoire. Tolkien ne se gênait pas d’ailleurs pour critiquer, donnant bons et mauvais points (Il détestait Disney et leurs productions).

Le Hobbit annoté

La Porte du domaine du Roi elfe, selon Tolkien. Une des illustrations du livre.

Parce qu’une place non négligeable est donnée aux illustrations de Tolkien himself, à commencer par la première de couverture, où une vignette couleur représente Smaug, le fameux dragon, reposant sur son tas d’or. Tolkien savait aussi bien manier le pinceau que la plume. Des commentateurs expliquent même que l’auteur s’était inspiré de l’Art nouveau. L’intéressant dans l’affaire est de suivre l’évolution de pensée de Tolkien. Les essais picturaux sur la porte du Roi elfe sont à ce titre éclairants, différentes perspectives sont données, comme s’il fallait rendre tangible son imaginaire et s’y appuyer pour le récit.

La tête dans le sac

J’aborde maintenant les changements les plus significatifs. Dans son ensemble, le texte est bien plus fluide, ce qui apporte un allant plus approprié, et mon estime pour l’histoire en a été rehaussée. Des noms propres ont été nouvellement traduits, et pas des moindres : Sacquet (Baggins) devient Bessac ; la Forêt noire (Mirkwood) est changée en Grand’Peur ; Fendeval (Rivendell) remplace Fondcombe. On s’habitue vite au Bessac – bien que Sacquet claque bien, faut avouer, surtout quand on pense au doublage de Gollum dans Le Seigneur des anneaux. Et c’est un nœud à problèmes, ces changements, car quid des films à venir ? On verra très rapidement ce qu’il en sera, c’est-à-dire soit l’on reste sur les anciens noms, soit l’on s’adapte, avec le risque d’une confusionnite aiguë. C’est davantage agaçant qu’autre chose, en fin de compte.

Moi qui adore les cartes, je suis servi. C’est un ersatz du voyage réel, mais on se met à rêver à tout le reste, à ce qui peut être écrit. Cette édition les donne toutes, anglaise et en version française, avec la signification des runes ; le tout sous la main de Tolkien, évidemment. L’alphabet runique est de plus fourni dans l’appendice B en fin d’ouvrage. L’appendice A est un texte, L’Expédition d’Erebor, le récit du Hobbit selon le point de vue de Gandalf, où l’on apprend ce que le magicien a magouillé pendant son absence. C’est un excellent point que d’avoir inclus ces deux appendices ; une véritable « valeur ajoutée », comme on dit.

Au final, une édition définitive de l’œuvre à posséder absolument, car ce sont l’auteur et son histoire qui apparaissent plus indissociables que jamais. Rien ne vous empêche d’acquérir la version simple, avec seulement l’histoire, c’est tout aussi bon. Certains vont me voir venir, mais l’étape suivante n’est-elle pas maintenant de procéder de la même manière pour Le Seigneur des anneaux ? Ce dernier n’ayant pas de traduction intégrale en français – bourrée d’erreurs, de surcroît –, on attend avec impatience une révision complète, digne de l’œuvre de Tolkien. Surtout si elle est d’aussi bonne qualité.

Le Hobbit annotéLe Hobbit annoté de John Ronald Reuel TOLKIEN
Édition révisée et augmentée, par Douglas A. Anderson
Nouvelle (2e) traduction de l’anglais par Daniel Lauzon
2012, Christian Bourgois éditeur

(Les illustrations sont tous droits réservés © ® à leurs propriétaires respectifs.)