Le Mystérieux Mr Kidder de Joyce Carol Oates


On ne contredit pas un homme. Pas si vous voulez qu’il vous aime.

My fair lady

Ces mots sont issus de la bouche de Katya Spivak, jeune fille de 16 ans engagée comme nounou pour l’été par un couple de Bayhead Harbor, station balnéaire réunissant chaque année les nantis de la côte Est des États-Unis. Katya, elle, n’est pas née avec une cuillère d’argent dans la bouche, loin s’en faut. « Élevée » à la dure à Vineland, New Jersey, elle sait déjà, malgré son jeune âge, qu’il lui faudra toujours se débrouiller seule dans la vie. Des fréquentations et une famille dans l’ensemble peu recommandables sont le lot quotidien de Katya, ravie d’échapper à cet environnement, même s’il s’agit de travailler pour un couple qui traite son employée comme un être inférieur dédié à son service 24/24H.

Heureusement, Katya s’entend à merveille avec ses petits protégés, même si, dès la deuxième semaine de son séjour, elle s’ennuie fermement dans cette station balnéaire aseptisée où rien d’excitant ne semble jamais se produire. C’est alors qu’elle croise le chemin de Marcus Kidder, étrange vieil homme qui lui témoigne un intérêt dénué de tout désir sexuel, dit-il. Katya, habituée à ce que les hommes la regardent avec concupiscence, et se conduisent avec elle sans ménagement, se laisse approcher et noue peu à peu une amitié teintée de séduction avec cet homme richissime et mystérieux.

Cet artiste dans l’âme (peintre, musicien, écrivain, sculpteur) lui propose finalement de poser pour elle. Katya, qui se méfie instinctivement des hommes – y compris de son employeur, dont elle a reconnu les regards insistants – accepte, non sans méfiance : Mr Kidder la paie, chaque fois un peu plus, pour ces séances de pose. Katya ne sait pas résister à l’argent. Le luxe dans lequel elle est plongée depuis son arrivée à Bayhead Harbor l’aveugle ; tout comme la culture de Mr Kidder et les codes de ce monde qui n’est pas le sien.

Dream a Little Dream

Joyce Carol Oates a publié A fair maiden en 2010 aux États-Unis. Titre original qui colle bien mieux à l’esprit du livre que son titre français, puisque le roman dévoile uniquement le point de vue de Katya, jamais celui de Marcus Kidder. Durant les quelque 236 pages, le lecteur fait face aux doutes de Katya quant aux attentes de son vieil ami. À sa lutte intérieure sur la conduite à adopter, les décisions à prendre : doit-elle écouter son « côté Spivak », et ne penser qu’à son profit personnel, voir les évènements de manière cynique, calculée ? Ou doit-elle laisser ce qui lui reste de candeur, de spontanéité et d’innocence parler ? Car Katya est un personnage double. Cette adolescente qui devrait être plus insouciante – qui l’est, parfois – est profondément influencée par les difficultés auxquelles elle a dû faire face. Une mère irresponsable, alcoolique et menteuse, un père fuyard, un cousin délinquant-voire-criminel – car Katya ne semble pas vouloir comprendre la signification du mot viol, et ce plusieurs fois dans le récit -, de mauvaises fréquentations et de mauvaises décisions, Katya a trop vécu pour son âge. Elle sait déjà qu’elle fait partie d’une classe sociale qui ne lui permettra pas de réaliser ses rêves, d’ailleurs elle ne rêve pas vraiment.

À la différence du Lolita de Nabokov, c’est la voix de la victime qui a droit de cité, dans ce roman. À l’inverse de Lolita, Katya est incarnée, personnifiée. Elle n’est pas – du moins elle n’est pas censée l’être – un pantin à la merci de son (ses) bourreau(x). Mais elle reste une très jeune fille en manque d’amour qui, influencée par ses complexes, son manque de confiance en elle, ses angoisses, et sa fascination pour l’argent persiste à prendre les mauvaises décisions.

Ce qui commence comme une histoire réaliste prend durant le dernier quart du roman l’allure d’un conte de fées étrange, dont la fin improbable m’a laissée quelque peu perplexe.

Le mystérieux Mr Kidder

de Joyce Carol Oates

Éditions Philippe Rey

236 pages, 17 €

Mars 2013




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