Les bacchantes nous rasent


S’il est un élément de virilité et de sévérité que l’on aurait cru éternel, c’est bien la pilosité sub-labiale, connue du petit peuple par son nom vernaculaire de moustache. Longtemps l’apanage des rudes sabotiers de nos campagnes, des dictateurs sanguinaires ou des gentlemen britanniques, la bacchante a désormais perdu de sa superbe depuis le tournant du millénaire.

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Au poil

Quel en est le tournant? D’aucuns disent que c’est les années 80-90, avec une subsistance du petit gazon type MC hip-hop, et la disparition quasi-totale du spectre de la normalité pileuse de la bonne grosse moustache botte de foin, où la limite se perd entre poil de nez et fourrure sub-labiale, type tonton jovial ou Jean-Pierre le garde-chasse. A cette époque, la moustache est entrée en résistance passive, et, après avoir connu une longévité remarquable depuis la fin du 19e siècle, où elle représentait le summum de la modernité, aux années 70, où elle était encore populaire aussi bien chez les prolos que chez les hippies, n’est demeurée dans un paysage glabre et aseptisé qu’en étant arborée par un certain nombre de visages familiers, du tonton au peopolitique.

J’aime torturer, poil au nez

Ce moustachu était l'homme le plus détesté de France il y a peu

L’homme le plus détesté de France en 2010

Peut-être le désamour de la moustache tient-il au fait qu’un grand nombre de tyrans du 20e siècle en ont arboré une tandis qu’ils génocidaient joyeusement leur peuple (ou un autre) pour s’accrocher à leur trône, et ce bien qu’il soit de notoriété publique que c’est le bouc qui rend méchant. En effet, difficile de penser à un grand salaud qui n’ait pas arboré la moustache avec fierté : Khadafi, Saddam, Pinochet, Hitler ou Staline, de tous bords, idéologie ou religion, on se doit pour inspirer crainte et autorité d’en porter une. Heureusement qu’il est resté des Jean Rochefort, Jean Ferrat ou Tom Selleck pour lui garder un semblant de sympathie dans cette période sombre, et qu’il est, à l’instar des épidémies de grippe, resté quelques foyers de fierté pileuse dans un certain nombre de pays irréductibles où la moustache représente le summum en matière de virilité.

La mousse tâche?

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C’est un président Français au nom rigolo

Et c’est là où nous en arrivons à l’objet de ces quelques lignes. Quand un José Bové peut arborer en toute circonstance sa moustache sans qu’on se moque de lui pour port continu depuis l’époque réglementaire, personne hier n’osait porter cet accoutrement pileux à part un ado en pleine puberté n’ayant pas encore testé les délices du rasage de duvet labial. Cette désuétude, qui semblait définitive, portait en elle les graines de la destruction. En effet, si quelque-chose est remisé à la cave du ringard, on peut être sûr qu’il reviendra par la fenêtre de la mode. Pourtant, John Galliano ayant eu la bonne idée d’invoquer ses sympathies pour les nazis, nous avions crus cette menace repoussée. C’est sans compter sur la cohorte de gens cools, jamais manchots pour se démarquer à tout prix, qui décida du jour au lendemain que porter la moustache était le summum de la tendance (avec un petit vélo customisé en sus). Et voilà-t-y-pas donc que l’on se retrouve partout avec des sosies d’arrière-grand-papa Gustave à la queue de la boulangerie (bio et équitable, qui fait aussi magasin de disque et barbershop) ou de tonton Alphonse à la soirée branchée du moment. Et même ce bon vieux Jean-Kévin, dont l’atroce duvet rappelle pourtant celui de Grand tata Léopoldine, arborera avec fierté ce nouvel avatar de ce qui est devenu cool.

On n’a plus des poil en l’humanité

Évaporée la crainte d’un bon coup de ceinture à la vue de son rude géniteur moustachu, les poils jaunis par des années de nicotine d’un loup de mer ou les restes de repas de trois semaines. Maintenant c’est impeccable, travaillé, aseptisé. On ne va plus se peigner le moustache et lui donner un coup de ciseau chez Roger le coiffeur du coin (qui sait tout mais qui dit rien, ou presque) mais on va chez le barbier néo-rockabilly (plus tatoué qu’un matelot russe) se faire rectifier la coupe. Et encore tout cela peut être supportable. C’est quand les ados de 15 ans récupèrent les codes de la fière moustache pour les transformer en truc mode-mignon qu’on voit que tout fout le camp. Bijoux ou postiches en plastique, ces horribles mignonnetés aux contours ronds sont le stade d’évolution ultime de ce qui était jadis hirsute et sauvage. Et quand on voit les jeunes pré-pubères afficher fièrement les atroces chemisettes ornées d’une starlette quelconque, qui, probablement non consentante, se voit glisser sous le nez une main photoshopée (par les équipes de Staline ?) dont le doigt est orné d’une moustache on se dit que le slogan qui l’accompagne, life is a joke, n’est peut-être pas si mal trouvé.