Les enquêtes du juge Ti, “détective lettré”


Coup de cœur pour une série policière particulièrement addictive : les enquêtes du juge Ti. Chine impériale, personnage hauts en couleur, étranges affaires à résoudre…Avec en prime trois intrigues en une, plaisir garanTI !

Robert Van Gulik, diplomate et écrivain

Avant de nous plonger dans la “saga” du juge Ti, intéressons-nous d’abord à son créateur, Robert Van Gulik. Hollandais né au début du siècle, son statut de diplomate lui permis de côtoyer différentes cultures. Il s’intéressa à l’histoire, aux mœurs, coutumes et populations des pays dans lesquels il séjourna. Son enfance passée en Indonésie explique peut-être son affection pour les cultures asiatiques, en particulier japonaise et chinoise. C‘est ce qui l’amènera à découvrir, lors d’un voyage, un roman policier chinois du XVIIIème siècle qu’il traduira en anglais : Trois Affaires criminelles résolues par le Juge Ti [Three Murder Cases solved by Judge DeeDí gōngàn 狄公案].Fasciné par ce personnage, il décide d’écrire une série d’enquêtes menées par le magistrat chinois et ses sbires. Leurs premières aventures sont publiées dès la fin des années 1940.

Un juge atypique

Protagoniste de cette fabuleuse série d’enquêtes, le juge Ti est inspiré d’une figure historique de la Chine ancienne. DI Renjie* (prononcez Ti Gênetié), vécut sous la dynastie Tang (618-907). Dans la société chinoise de l’époque, le confucianisme prévalait sur les autres courants de pensée (taoïsme, bouddhisme…). Les lettrés représentaient l’élite de cette société confucéenne, notamment à cause de l’extrême complexité des examens mandarinaux qui leur permettaient de remplir des fonctions de haut rang.

La grande perspicacité de Di Renjie lui permis de devenir un célèbre magistrat et d’être nommé Ministre de l’impératrice Wu Zetian.

Le juge Ti est souvent comparé au célèbre détective anglais Hercule Poirot, imaginé par Agatha Christie. Avec l’aide de ses lieutenants, il déjoue des complots infâmes, résout de mystérieuses énigmes, démasque meurtriers retors et vils coupables tout en parcourant la Chine impériale. S’impliquant pleinement dans les enquêtes qu’on lui confie, il n’hésite pas à risquer sa vie pour faire triompher sa vision de la justice, quoi qu’il lui en coûte.
Il est aujourd’hui un personnage incontournable de la littérature policière chinoise.

© Photo Elodie Barthélémy

Le Monastère hanté : histoire de fantômes chinois

En 667 de notre ère, surpris par un violent orage dans les montagnes désolées du district de Han-yuan alors qu’il revient de voyage, le juge Ti trouve refuge en compagnie de ses épouses, son lieutenant Tao Gan et ses serviteurs au monastère taoïste du Nuage Matinal, où un an auparavant, trois jeunes filles sont mortes dans des circonstances mystérieuses. Une fois sur place, il est victime de l’étrange vision d’une femme blessée, victime d’un agresseur casqué. Hallucination ou manifestation surnaturelle ? Le vénérable juge veut en avoir le cœur net et commence sur le champ son enquête. Mais entre une troupe de comédiens et Vraie-Sagesse, le père abbé du monastère, ce sanctuaire religieux semble abriter bien des mystères.

Le décor est planté ! On est tout de suite pris dans l’ambiance du roman : nuit pluvieuse, mystérieux monastère taoïste, personnages ambivalents…Tous les ingrédients sont réunis pour une bonne histoire de fantômes chinois. Le Monastère hanté, 8ème titre dans l’ordre de publication, est aussi l’un des plus connus de la série. Pas de panique si, comme moi, vous commencez dans le désordre, cela n’entrave pas la lecture (pour les plus méticuleux, les enquêtes du juge Ti débutent avec  “Le mystère du labyrinthe”). Robert Van Gulik a su rendre le juge Ti réellement attachant, dès la première lecture.

Le monastère du Nuage matinal est presque un personnage à part entière : véritable labyrinthe, les détails de son architecture, surtout sa galerie des horreurs, en font un huit-clos particulièrement angoissant. Le lecteur découvre les croyances et pratiques taoïstes en même temps que le juge (de tradition confucéenne).

Une série d’enquêtes addictives

La “force” de cette série n’est pas tant l’intrigue que la description de la Chine ancienne. Van Gulik écrit dans le style chinois, en se basant sur d’anciens récits. Sa capacité à “penser” en chinois rendent le récit attrayant sans pour autant l’alourdir de détails.

Vous allez me dire, c’est un peu trop parfait pour être vrai ? Le seul petit bémol, ce sont les quelques phrases en italique au début de chaque chapitre. Elles en résument le contenu, ça gâche un peu le suspens. Si vous êtes comme moi et que vous aimez être surpris, délaissez ces quelques lignes ! Il est d’usage dans les romans policiers chinois de connaître le coupable dès le début du livre, ce que n’a pas respecté Van Gulik, qui l’a peut-être retransmis de cette manière.

Lire les enquêtes du juge Ti, c’est une manière simple de découvrir la culture chinoise antique, la réalité historique en plus, sans pour autant vous donner l’impression de lire un chapitre de l’Universalis qui traînait chez vos grands-parents. Et avec trois enquêtes policières imbriquées en une, que demander de plus ?

Vous l’avez compris, ça devient vite addictif ** !

Et vous, vous prendrez bien un peu de Ti ?

*** Notes
* Le système actuel de transcription phonétique des caractères chinois est le pinyin, mais il existe bien d’autres transcriptions, ce qui explique que l’orthographe de certains noms chinois diffère très souvent dans les traductions (Lao Tseu pour Laozi, Mao Tsé-toung pour Mao Zedong, et ici Ti Rentsié pour Di Renjie).
** Vous en voulez encore ? Les enquêtes du juge Ti continuent grâce à plusieurs auteurs dont (cocorico !) un écrivain français, Frédéric Lenormand.

Et pour les cinéphiles, Tsui Hark consacrera son prochain film au juge Ti.
*** Les éditions 10/18 proposent une version poche illustrée par les dessins de l’auteur.