L’impuissance du Mal


Je dois peut être avoir l’esprit tordu mais j’ai toujours trouvé assez frustrant que les méchants ne gagnent jamais dans les films, séries et autres bande-dessinées. Ok ce sont les méchants ! Mais ce n’est pas parce que dans un moment d’orgueil mal placé, ils finissent systématiquement par révéler leur plan diabolique, perfide et autrement plus machiavélique au gentil lors de sa capture, qu’ils doivent toujours perdre ! Si on regarde objectivement, le méchant fait souvent preuve de beaucoup plus de volonté, de travail et parfois de génie que le branleur de héros qui arrive au dernier moment, fait son intéressant et détruit tout parce qu’il est le gentil.

Souvent la vision de l’opposition entre les méchants et les gentils est assez manichéenne, je n’apprendrais à personne que le monde est le plus souvent fait de ces fameuses teintes de gris. Même si pour la morale c’est toujours les gentils qui gagnent à la fin, depuis quelques temps des écrivains, scénaristes et autres conteurs d’histoires, se sont essayés à des histoires plus ambiguës, plus déviantes, plus sur le fil du rasoir.

Moi, Moche et Méchant

Je vais laisser de coté les tentatives hollywoodiennes d’inversions des rôles, des films comme Moi, moche et méchant ou Megamind dont les personnages principaux sont des « méchants » et avaient du potentiel, mais bien vite taclé par une morale bien pensante.

Pour aujourd’hui je vais surtout regarder du coté des comics et parler de ces scénaristes qui aiment dynamiter les conventions du genre super-héroïque.

Les Anglais débarquent, ces très mâles

Depuis quelques années, une vague d’auteurs britanniques a débarqué dans le monde des comics. Des auteurs (pas tous britanniques) comme Alan Moore, Neil Gaiman, Brian K. Vaughan, Warren Ellis, Mark Waid, Chris Claremont, Grant Morrison, Frank Miller, Brian Michael Bendis, J.M. Straczynski, Garth Ennis et Mark Millar, ont chacun à leur façon révolutionné l’écriture des comics. Certains ont élevé l’écriture au rang de Littérature avec un grand L et d’autres l’ont simplement explosée pour le plus grand plaisir des lecteurs.

Un point commun à tous ces messieurs est qu’ils sont tous passés par les grandes séries super-héroïques. Que ce soit des séries Marvel, DC ou Wildstorm, ils sont tous passés par l’une ou l’autre et parfois plusieurs de ces maisons. Et ils ont tous finis par créer leur propre série super-héroïque, pour avoir encore plus de liberté. Le renouveau c’est fait petit à petit avec l’arrivée de toute cette bande d’anarchistes fous. Chacun dans son style a apporté noirceur, ambiguïté, profondeur et réflexion à des univers mais surtout à des personnages qui commençaient à se regarder sauver le monde. En développant des récits non-linéaires, en plongeant dans la contre-culture, en insufflant de la subversion, de la corruption et en brisant les codes, en bons iconoclastes, ils ont redéfini les règles dans le monde des super-héros.

Ils ont corrompus les super héros qu’on connait, en les rendant plus humains, en nous montrant leurs défauts, leurs failles, en inversant les valeurs, etc. Ils ont brisé les codes mais aussi les personnages pour donner une nouvelle dimension à ces différents univers. Ce faisant, ils ont donné de l’épaisseur à tous ces personnages. Histoire de ne pas les oublier, parce que sans eux les BD n’existeraient pas, rappelons que tous ces univers réécris et bouleversés ne seraient rien sans les dessinateurs et autres illustrateurs qui apportent la narration proprement dite ainsi que leur vision. Citons en vrac Frank Quitely, David Lloyd, John Romita Jr, Dave Gibbons, John Cassaday, Bryan Hitch, J.G. Jones, Eddie Campbell, Darrick Robertson, etc. C’est de leurs collaborations avec les scénaristes que naissent ces univers, ils sont donc primordiaux mais pour aujourd’hui, on va s’en tenir à l’aspect scénaristique.

Marky Mark

Je vais avouer humblement que je ne peux pas être totalement exhaustif et citer tous les comics un peu décalés présentant un vilain comme personnage principal. Mais mentionnons, en dehors de ceux qui vont faire l’objet de notre attention dans la suite de l’article, Irrécupérable de Mark Waid – ou qu’est ce qu’il se passerait si Superman en avait marre de l’ingratitude des humains – , mais aussi Empire du même Mark Waid qui explore la possibilité d’un monde sous l’emprise d’un super vilain. On pourrait aussi mentionner Hood de Brian K. Vaughan et cette nouvelle tendance générale à sortir des mini-séries sur des vilains des différents univers des comics, c’est comme ça que Loki ou le Joker ont eu droit aux feux des projecteurs.

Empire

Irrecupérable

Hood

Batman The Killing Joke

 

 

 

 

 

 

 

Mais parmi tous les loustics fous, il en est un qui semble se délecter des univers inversés où les méchants mènent la danse, je veux parler de l’écossais Mark Millar.

Authority

Déjà dans The Authority, série qui conte les aventures d’un groupe super héroïque anarchiste où les équivalents de Batman et Superman sont un couple gay qui veut adopter, où le shaman de tous les shamans est un toxicomane batave, la navigatrice une chinoise extrémiste et l’ingénieur est une italienne qui sort avec un homme qui parle avec les villes. La série crée par Warren Ellis était déjà bien anti-conformiste, Millar l’a amenée encore plus loin, la rendant plus trash, plus subversive et plus drôle.

En ce qui concerne les personnages très connus, Millar a imaginé un monde dans lequel Superman, plutôt que de tomber dans le Kansas, atterrit en URSS à son arrivée, et ça a donné Superman Red Son.

 

Ultimates

Du coté de chez Marvel, il a littéralement révolutionné les vengeurs avec Ultimates, il a fait de Captain America un boy scout anachronique qui souffre de la perte de tous ceux qu’il a connu pendant la Seconde Guerre Mondiale, de Tony Stark/Iron Man un alcoolique notoire, de Bruce Banner/Hulk une loque qui souffre des actions perpétrées par son alter ego irascible, de Thor un intégriste écologiste fou, etc. Millar a tellement modernisé ces héros que c’est en grande partie à sa version et sa vision qu’on doit la vague récente de films hollywoodiens sur les super-héros Marvel: Iron Man, L’Incroyable Hulk, Captain America et le prochain Avengers (les vengeurs) sont directement inspirés par Ultimates.

 

OldMan Logan

Toujours chez Marvel, un autre héros qu’il a réinventé de façon intéressante, c’est Wolverine/Logan. Dans Old Man Logan, il a projeté le X-Man dans un futur doublement post-Apocalyptique. Doublement parce qu’une fin du monde semble vraiment avoir eu lieu mais aussi parce qu’un des fautifs est le bien nommé super-méchant Apocalypse/En Sabah Nur. Logan est devenu un agriculteur et père de famille qui refuse de se battre et surtout de sortir ses célèbres griffes. Millar a crée un monde cauchemardesque, détruit et soumis à la tyrannie des super-méchants, et le scénariste pousse la subversion jusqu’à nous révéler en fin de récit toute l’Horreur à l’origine du pacifisme de Logan (et je n’en dirais pas plus mais croyez-moi ça fait froid dans le dos).

 

kickass

Pour revenir au cinéma, rappelons que Mark Millar est également l’auteur de Kick-Ass, histoire elle aussi adaptée à l’écran ces dernières années. Bien que la version ciné soit un peu édulcorée en comparaison du comic book d’origine, le film reste assez violent et l’exercice de style et variation sur le thème du super-héroïsme sont bien là.

Toujours au cinéma et en remontant encore dans le temps, Millar s’est vu adapté (et un peu saccagé) dans le film Wanted avec Angelina Jolie, Morgan Freeman et James McAvoy. Le film, bien que partant d’un postulat de départ assez proche de celui du comic book, n’a pas grand chose à voir avec l’original. Wanted (le comic book) raconte l’histoire d’un jeune homme moyen voire médiocre, qui vit une existence médiocre, a un boulot médiocre, sa copine se tape son meilleur ami et tout le monde le traite comme le moins que rien qu’il est. Un jour une femme comme il peut à peine en rêver lui annonce qu’il est le fils d’un super-vilain mais pas n’importe lequel, le fils du super-méchant le plus réputé du monde, et un des dirigeants de la planète. Car il apprend aussi que toute sa vie et sa réalité sont un mensonge, les méchants ont fait un putsch, ont tué tous les super-héros jusqu’au dernier, se sont emparé du pouvoir et ils dirigent le monde sans que personne ne le sache. Notre jeune homme d’abord incrédule est forcé de constater que c’est la vérité et quand il découvre son propre potentiel latent dans l’art de tuer, il embrasse son destin de super-vilain à bras le corps.

Wanted

Pour en terminer avec les œuvres dystopiques de Mark Millar, je me dois de mentionner Nemesis. Dans ce comic book, Millar nous raconte les aventures de Némésis, le plus grand criminel de la planète, l’ennemi public Numéro 1 de toutes les polices du monde. Dans un univers sans super-pouvoirs, Némésis prend un immense plaisir à traquer, piéger et tuer, de façon la plus spectaculaire et violente possible, tous les grands policiers de chaque pays. C’est un comic book extrêmement violent, immoral et, avouons le, assez jouissif mais à ne pas mettre entre toutes les mains.

Honni soit qui Mal y pense

Donc on peut dire après tous ces exemples que Millar est un adepte de la subversion dans le neuvième art. Il fait partie, au même titre que ses prédécesseurs et que ses successeurs, de cette vague de révolutionnaires de la narration et des conventions. Il y a de nombreuses façon de révolutionner un univers mais toute révolution est par définition un renversement des valeurs. Et j’ai déjà essayé de démontrer il y a quelques temps que la pensée divergente peut faire avancer les choses. Dans plusieurs des cas précédemment cités, la pensée divergente ou alternative titille les règles de la morale. Bien évidemment que faire le mal, c’est mal, mais aller à l’encontre des conventions, ça, c’est pas mal !

Tout cela n’est que pure fiction bien sûr mais quand on voit l’état de la planète, les injustices partout, l’omnipotence des banques et la corruption des hommes d’états, on est en droit de se demander si les méchants n’ont pas déjà gagnés.