Saltarello


Saltarello

Paris, XIVe siècle. En pleine guerre de Cent Ans, le royaume de France est aux abois. Les Anglais sont aux portes de Paris. Le roi de France, Jean II, est retenu prisonnier à Londres. Un vent de révolte souffle avec violence dans les villes comme dans les campagnes, alors que la population se remet difficilement de la grande peste de 1348. Pendant ce temps, deux papes se querellent et s’excommunient mutuellement entre Rome et Avignon. Pourtant, dans ces circonstances douloureuses, la vie continue. Les arts renaissent, les sciences progressent, la prospérité revient. Alix Rougemont, jeune clerc mandaté pour le service funéraire de Nicole Oresme, s’aperçoit que le cercueil qu’il transporte au cimetière est vide. Soupçonnant un meurtre couvert par sa hiérarchie, il se lance, seul, dans une enquête qui nous plonge dans un Paris haut en couleur où se côtoient personnages fictifs et historiques…

La Saltarelle

Le Saltarello était une danse joyeuse et vivante qui s’est développée à partir de la gaillarde de Naples, dans le courant du XIIIe siècle en Italie. Elle jouissait d’une grande popularité au sein des cours d’Europe médiévale, notamment en France au XIVe siècle. Cet air, à la fois joyeux et inquiétant, est le fil conducteur de ce roman médiéval à clés, qui mène le lecteur de messes noires en procès d’Inquisition, de la cour du roi aux étals des bouchers. Il s’agit là du premier roman de son auteur, Matthieu Dhennin, roman fictif historique fusse t-il encore besoin de le préciser.

Felix qui potuit rerum cognoscere cosas (Heureux celui qui a pu pénétrer le fond des choses)

Certains lecteurs aiment se délecter de détails, d’ouvrages foisonnant de références historiques, d’explications sur la vie intellectuelle, religieuse ou quotidienne d’une époque. Avec Saltarello, Matthieu Dhennin nous enchante avec un lexique médiéval riche et précis, des mots savoureux et charnus ainsi que des annexes qui viennent compléter notre lecture (index historique des noms, chronologie, recettes…). Cela donne corps à une fiction historiquement plausible qui ne laisse place ni à l’approximation, ni aux anachronismes en tous genres.

Post Tenebras Lux (Après les ténèbres, la lumière)

Nous voilà projetés très rapidement dans un Paris du XIVème siècle juste après la célébration des obsèques de Nicole Oresme. Alix Rougement, modeste étudiant à la Sorbonne, remarque avec stupéfaction un détail qui n’aura de cesse de le tourmenter et d’alimenter ses interrogations. Ce mystère, censé nous tenir en haleine jusqu’aux derniers paragraphes ne tient guère ses promesses, faute à un comment qui arrive bien trop tôt en notre possession, le pourquoi étant fort heureusement dévoilé dans les dernières pages. Ainsi, durant les 2/3 du roman, qui nous font découvrir avec émerveillement les fastes du duc de Berry – flamboyant mécène et protecteur des artistes -, Charles V, Nicole Oresme – sans doute le plus grand penseur du Moyen Age-, la délicieuse poétesse Christine de Pizan, le célèbre cuisinier Taillevent, l’intrigant Nicolas Flamel, le libraire soupçonné de pratiques alchimiques sans parler du boucher Aubry Haussecul, personnage redondant (et je dois avouer énervant à souhait car l’auteur a voulu nous faire ressentir la gêne qu’occasionne son bec de lièvre en remplaçant tous les v par des f à chaque tirade de notre ami des bêtes…pour ma part, vite lassant même si l’on n’y prête plus trop attention à la fin), le fil conducteur paraît trop ténu, presque opaque, se perdant dans les méandres d’un Paris boueux et dans le tourbillon de  la vie de nos multiples protagonistes. Il en ressort peu ou prou d’empathie pour nos personnages et une enquête qui balbutie, qui s’enfonce dans les fanges de la capitale au fur et à mesure de chapitres manquant de liant.

Labor omnia vincit improbus (Unn travail acharné vient à bout de tout)

Certes, j’ai eu du mal à prendre part à la danse, le dernier tiers du roman étant plus prenant car les révélations s’accélèrent, Saltarello me laissera tout de même un goût mitigé. Car malgré le brouillard qui enveloppe l’enquête et perd le lecteur dans le temps et l’espace parisien, il faut reconnaître un réel talent dans la narration et le goût du détail ainsi qu’un travail acharné sur la période et le style du roman qui permet de pleinement nous dévoiler l’atmosphère de l’époque et de côtoyer allégrement religieux, scientifiques et philosophes de haute volée sans oublier le petit peuple truculent des corporations.

Une danse entraînante mais pas encore assez envoûtante à mon sens ; malgré tout, je suivrai de près le prochain roman de ce auteur plein de promesse.


Saltarello de Matthieu Dhennin
Éditeur : Actes Sud
Collection : Histoire – roman historique
422 pages
23 €