Si une nuit d’hiver un voyageur, l’angoisse du lecteur


Je n’ai pas une grande connaissance de la littérature italienne contemporaine, si ce n’est quelques titres fondateurs comme Le Nom de la rose d’Umberto Eco ou encore le K de Dino Buzzati. En tout cas, il y a quelques semaines, je n’aurai jamais pu citer le nom d’Italo Calvino car je ne le connaissais tout simplement pas. Grossière erreur, car l’œuvre de cet auteur est foisonnante, d’un second degré remarquable et mérite que l’on s’y arrête.

Qui es-tu, Italo ?

Né en 1923 à Cuba, Italo Calvino est issu d’une famille anti-Mussolini. Écrivain de gauche, il connaît ses premiers succès de librairie avec la trilogie Nos Ancêtres. Le premier tome, Le Vicomte pourfendu, paru en 1952, raconte l’histoire d’un chevalier à qui il manque la moitié gauche de son corps suite à une bataille. Le deuxième tome, Le Baron perché, publié en 1957, narre la vie d’un homme qui, un jour, décide de monter habiter dans un arbre pour plus jamais en redescendre. Enfin en 1959, le dernier volet, Le Chevalier Inexistant, relatait les péripéties d’un soldat qui ne vit que grâce à la force de sa volonté.

 Italo Calvino

A la fin des années 1960, l’auteur déménage à Paris. Il devient membre de l’Oulipo, l’Ouvroir de littérature potentiel, mouvement d’auteurs qui essayent d’inventer de nouvelles formes de littératures. Parmi ses membres, on trouve Raymond Queneau ou encore Georges Pérec. Si une nuit d’hiver un voyageur, publié en 1979, s’inscrit directement dans son aventure oulipienne. Il décède à Sienne en 1985, à l’âge de 61 ans.

Éloge de la frustration

A l’image des livres dont vous êtes le héros, vous êtes le personnage principal de Si une nuit d’hiver un voyageur. Plus précisément, le héros est le Lecteur, personnage non identifié que Calvino tutoie. Ce Lecteur se rend dans une librairie pour acheter le dernier livre d’Italo Calvino, Si une nuit d’hiver un voyageur. Il lit le premier chapitre qui installe l’ambiance d’un roman noir, dans le style de Dashiell Hammet. Mais un gros problème survient : les chapitres suivants ne sont pas du tout ceux qui devraient suivre cette ouverture. Le lendemain, le Lecteur retourne au magasin qui lui annonce qu’effectivement, un problème d’impression touche les exemplaires du dernier livre de Calvino. Il repart avec un autre livre, non sans avoir rencontré un autre lecteur désappointé, Ludmilla. Commence alors une quête pour enfin trouver la suite de ce livre, où le Lecteur va vivre d’incroyables aventures en compagnie de Ludmilla, oscillant entre comédie et fantastique.

La construction du roman alterne entre les aventures du Lecteur et les premiers chapitres des livres que celui-ci trouve dans son aventure. En effet, non content de ne pas réussir à retrouver la suite de Si une nuit d’hiver, un voyageur, le héros ne trouve que des débuts d’autres ouvrages, dans une sorte de malédiction antique. Les multiples péripéties du héros sont autant de travaux d’Hercule placés pour lui barrer le passage vers le livre tant convoité. Entre traducteurs peu scrupuleux, éditeurs peu regardants sur la qualité de l’impression, universitaires spécialisés dans une langue quasiment inconnue, polices politiques très pointilleuses et bien d’autres, Calvino se joue des héros et par la même occasion de ses lecteurs. S’ensuit un chemin de croix complètement loufoque et hilarant.

Si une nuit d’hiver, un voyageur d’Italo Calvino

Pourtant, cette histoire fantasque n’est pas le cœur du récit : ce sont bien les faux premiers chapitres créés par Calvino qui font tout le sel de Si une nuit d’hiver, un voyageur.  Dix premiers chapitres qui correspondent à des archétypes de roman bien précis : le roman noir, le roman d’anticipation, le thriller… Et le talent de l’auteur fait qu’après ces quelques pages, on s’est déjà attaché à ce début début d’histoire dont on souhaite ardemment connaître la suite. Le problème est que jamais le lecteur n’aura la suite du livre. Si une nuit d’hiver un voyageur, c’est un peu l’éloge de la frustration : dix histoires qui ont l’air passionnantes nous ouvrent les bras mais c’est à nous de les finir sans savoir ce que l’auteur avait prévu, ce que lui aurait fait.

Ce livre est né du désir de lecture. Je me suis mis à l’écrire en pensant aux livres que j’aimerai lire. Je me suis dit alors : la meilleure façon d’avoir ces livres, c’est de les écrire.
– Italo Calvino

Livre atypique à la limite de l’exercice de style, à l’instar de l’éponyme de Raymond Queneau, Exercices de style, Si une nuit d’hiver un voyageur est surtout une déclaration d’amour de la part d’Italo Calvino à la littérature. D’autant plus que le texte a bénéficié cette année d’une nouvelle traduction : c’est l’occasion idéale pour vous de le découvrir !

 

Si une nuit d'hiver, un voyageur

de Italo Calvino

Gallimard, collection Folio

400 pages, 8,20 €

2 avril 2015

Nouvelle traduction française