The Tree of Life


Le film d’une vie

Cela fait déjà un an que The Tree of Life aurait dû être présenté à Cannes ; Terrence Malick n’ayant cependant pas jugé le film fini pour Cannes 2010, il n’est donc présenté que cette année, précédé de tout le bruit qu’il se doit quand on parle d’un nouveau film du réalisateur.

Parce que oui, pour attirer ceux qui n’auraient pas vu Badlands (La Ballade Sauvage), Days of Heaven (Les Moissons du Ciel), The Thin Red Line (La Ligne Rouge), ou encore The New World (Le Nouveau Monde), on nous précise bien que le monsieur est un génie qui n’a fait, en quasiment quarante ans de carrière, que cinq films (The Tree of Life inclus). Autant dire que l’attente était là en ce mardi 17 mai, date officielle de sortie du film…

… et comme souvent avec les œuvres trop attendues (ou trop mûries, cela faisait des années que Malick travaillait sur ce film), la déception n’en est que plus grande. Pour ceux qui ne supportaient déjà pas 2001 : A Space Oddysey de l’ami Kubrick, il faut se dire que ses pérégrinations dans l’espace font office de film d’action à côté de The Tree of Life. Non pas que je n’aime pas les films contemplatifs, bien au contraire (et j’apprécie énormément 2001 au passage). Mais il y a une différence entre contemplatif et auto-complaisance, et dans ce sens le film est une déception au même titre que le Valhalla Rising de Nicolas Winding Refn.

La question du père

On sait que Malick est apparemment le seul qui puisse filmer le vent, et que ses films sont d’une beauté à couper le souffle. On sait aussi qu’il a une prédilection pour la narration en voix-off qui justement n’explique pas vraiment ce qu’il se passe. Seulement voilà, entre une succession de belles images fugaces (dont le trop-plein nous en fait finalement oublier la beauté à force de plans redondants) et des voix-offs qui ne font que questionner un être supérieur, il semble que le film ne démarre jamais vraiment. Et ce n’est en effet que lorsque la caméra paraît enfin se « poser » pour observer les personnages (c’est-à-dire pendant le dernier tiers du film) que l’on commence à se laisser prendre à la cruelle crise que traverse jeune Jack (Hunter McCracken), l’aîné de la famille qui passe de l’enfance à l’adolescence, perdant à jamais son « innocence » en découvrant la violence qui sommeille en lui.


The Tree of Life
fait tout de même un bien grand détour pour nous expliquer la nature inexorable de la violence que Jack sent poindre en lui. Une violence qu’il méprise et qu’il met sur le compte d’un père brutal (Brad Pitt) et dont il rejette progressivement « l’autocratie », questionnant par là-même la raison d’être du Père. Ainsi, quand la figure paternelle ne parvient pas à sauver un enfant de la noyade elle perd un peu d’une autorité qui ne fera que s’effriter quand Jack réalise que son père n’applique pas les préceptes qu’il impose à sa famille, et qui culminera quand un de ses fils lui ordonne de se taire à table. Une fois que le père, autorité suprême au sein de sa famille, s’absente temporairement de la maison, c’est la délivrance pour les enfants et leur mère; en associant la violence du père à la voie de la Nature, mais en associant sa présence et son pouvoir (ses enfants n’ont pas le droit de l’appeler « Daddy », mais uniquement « Father ») à Dieu, Malick nous montre que la voie de la Grâce (la soumission à la volonté de Dieu choisie par la mère (Jessica Chastain) ) c’est peut-être bien, mais surtout pesant.

 

The Tree of Life : qui donc choisir entre Darwin et Dieu ?

Cette remise en question de l’existence de Dieu est ce qui lance tout le film, quand la mère apprend la mort d’un de ses fils ; alors que le personnage nous raconte que les nonnes lui ont appris qu’il existe deux voies dans la vie, la voie de la Nature et la voie de la Grâce, et qu’il n’y a qu’en suivant la voie de la Grâce que le bonheur peut-être atteint, on comprend en effet pourquoi elle se demande s’il n’y a pas quelque-chose qui ne tourne pas rond chez Dieu. Malick illustre ces deux voies en prenant le parti de nous montrer la création de l’univers selon la théorie du Big Bang et non selon la version biblique. Il ne nie pas forcément l’existence de Dieu (l’arbre de vie du titre est une référence aussi bien religieuse que scientifique) mais montre la futilité de notre existence, et ainsi le besoin de se raccrocher à quelque chose. Le film ne nous impose pas de bonne ou de mauvaise réponse mais nous confronte seulement à une certaine vision des choses, et nous invite en tirer notre propre interprétation. (Ce serait d’ailleurs pour cette raison que Malick ne participerait pas aux conférences de presse, afin de ne pas avoir à expliquer ses films, et laisser ainsi les spectateurs en tirer le sens qu’ils veulent.)

Seulement voilà, pour nous faire comprendre que le père de famille, M. O’Brien, représente la voie de la Nature tandis que la mère représente la voie de la Grâce, Malick met ses gros sabots et nous montre sa vision de la foi en prenant comme toile de fond les années 50 aux États-Unis, période où l’importance de la religion dictait encore la vie familiale et où la plus grande menace était le communisme, un régime sans religion justement. Ensuite on passe au moins quinze minutes à observer une recréation du Big Bang puis l’apparition de la vie jusqu’aux dinosaures (autant dire que l’on a le temps de réfléchir). En nous montrant que les dinosaures ne sont pas que des grosses poules avec des dents, mais qu’ils ont aussi des sentiments (apparemment), Malick remet l’humain à sa place dans le grand cycle de la vie : nos problèmes ne viennent finalement que de la loi du plus fort.

Alors qu’un jeune dinosaure s’effondre de fatigue sur la rive d’une rivière paisible, un adulte de la même espèce s’approche et semble prêt à lui écraser la tête de sa patte, avant de se raviser et de transformer le geste dominateur en caresse. C’est à ce moment-là que l’on revient (enfin!) à nos moutons, et que l’analogie se poursuit avec un Brad Pitt parfait en tyran violent et aimant.

 

Tout ça… pour ça

La grande question selon moi reste l’utilité des scènes suivant un Jack devenu adulte (Sean Penn), hormis la dernière séquence de retrouvailles – imaginaires – avec tous les gens qui ont marqué sa vie : est-ce là le contrepoint nécessaire pour nous faire comprendre que tout ce que nous venons de voir était sa propre introspection? Lui a-t-il fallu tout ce temps pour comprendre que son amour pour sa mère et sa haine envers son père n’étaient que le résultat du classique complexe d’Œdipe? Lui-même un rejeton du besoin naturel de dominer pour survivre et se reproduire ? Remettre l’histoire de la violence humaine dans le contexte de la loi de la sélection naturelle ne donne selon moi pas plus d’impact au drame familial dont nous avons un aperçu, pas plus que le recours aux grands noms de la musique classique ne nous tirera le moindre frisson ou la moindre émotion tant le début a assommé d’ennui le spectateur.

The Tree of Life est un film à la beauté indéniable mais finalement poussive, et qui ne cache au fond pas grand-chose derrière ses grandes questions. Reste une interprétation impeccable de la part de tous les acteurs, un casting étonnamment bien trouvé qui donne un peu de crédibilité à tout ça (le jeune Jack a définitivement quelque chose de Sean Penn, et le petit blondinet incarné par Laramie Eppler ressemble de manière frappante à Brad Pitt, son père dans le film) et le mérite de faire réfléchir (au moins au sens du film, si ce n’est pas au sens de la vie), que l’on ait aimé ou pas.

 

The Tree of Life de Terrence Malick
Avec Brad Pitt, Jessica Chastain, Sean Penn, Hunter McCracken, Laramie Eppler
Sortie le 17 mai 2011