Un français, de Diastème


Début avril, nous vous parlions des Châteaux de sable d’Olivier Jahan, film français intimiste sur le travail de deuil, dont le scénario a été coécrit par l’emblématique Diastème. Nous ne nous doutions alors pas que nous reparlerions quelques semaines après du travail de cet artiste touche-à-tout, sur fond de polémique dont on peine encore à comprendre pourquoi elle est née. Mais l’Utopia de Bordeaux ayant eu la bonne idée de programmer son nouveau projet, Un français, c’est avec curiosité que nous sommes allés découvrir le film moribond des salles obscures françaises de ce début d’été 2015.

Polémique ta mère

Il y a quelques semaines donc, nous entendions parler du nouveau bébé de Diastème. Un français raconte l’histoire de Marco, qui, sous la houlette de Braguette, le chef de sa bande de skinheads violents et racistes, tabasse des arabes, des noirs et des homos, et s’acoquine avec l’extrême-droite française.

Intrigués par le thème du film et curieux de savoir ce qu’il en ressortirait, vu par les yeux de Diastème, nous attendions de connaitre la date d’une possible avant-première à Bordeaux pour pouvoir juger sur pièces. Mais, à notre grande stupeur, quelques jours avant la sortie officielle du film, le réalisateur annonce sur son blog que la majorité des avant-premières proposées aux salles ont été refusées – au final, seules huit seront organisées dans les salles françaises –, et que seule une petite cinquantaine de copies a été distribuée, contre une bonne centaine prévues au départ. Apparemment, les salles de cinéma se montreraient frileuses face à la thématique du film. Et Diastème, Alban Lenoir – l’acteur principal, j’y reviendrai – et la boîte de distribution du film, Mars Films, d’annoncer qu’ils ont reçu des menaces…

Diastème sur le tournage d'Un français © Mars FilmsDiastème sur le tournage d’Un français. © Mars Films
Largement repris dans les médias, l’article alimente les discussions et les rumeurs : commentaires agressifs, voire violents, peur de représailles ou pressions politiques ? Il n’en fallut pas plus pour créer une polémique. Histoire de calmer le jeu, la boîte de distribution s’est fendue d’un communiqué un peu vague, à partir duquel il est difficile de déterminer la vraie raison de cette distribution somme toute confidentielle. Pour finir, Un français obtiendra dans les 65 copies, ce qui reste assez peu, mais devrait permettre aux habitants des grandes villes d’aller le voir.

Mais revenons au film. Après toutes ces chicanes, et très probablement comme la plupart des spectateurs, nous nous attentions à une histoire violente et particulièrement dérangeante, une sorte d’American History X à la française.

Skin and bones

La première demi-heure d’Un français ne fait aucune concession. Radicale, violente – comme son personnage principal –, elle égrène devant les yeux du spectateur une histoire largement inspirée de faits réels. La radicalisation de la mouvance skinhead en parallèle de la montée de l’extrême-droite. Les bastons entre punks et skins. Le meurtre de James Dindoyal, un jeun Mauricien forcé de boire un mélange de bière et de soude en 1990. La noyade en 1995 de Brahim Bouarram, jeté dans la Seine par des skins en marge du défilé du premier mai du Front National. Les homos tabassés en pleine rue. Les discours nauséabonds des politiciens et militants du FN. Tout est vrai.

Mais cette violence n’est au final pas plus graphique que celle d’un épisode de Games of thrones ou Sons of anarchy. Et, côté cinéma français, Un prophète de Jacques Audiard nous a bien plus secoués, de ce point de vue. La violence de ce film réside plus dans l’idée que tout ce qui s’y déroule n’est pas vraiment une fiction. Voir défiler devant nos yeux trente ans d’intolérance, de racisme, de haine, est certes dérangeant, mais également nécessaire, au cas où on oublierait.

Un français de Diastème © Mars Films © Mars Films
Au milieu de tout ça, Marco semble paumé, fragilisé, même. On le serait à moins, sa vie n’étant pas particulièrement extraordinaire. Un appart’ triste, entre un père ivre mort la plupart du temps et une mère éteinte. Un meilleur ami toxico. Seuls le bar où se retrouve sa bande de skinheads et son job d’agent de la sécurité lors des meetings et des sorties du FN lui donnent un semblant de cadre. Mais ils entretiennent également sa haine de l’autre. La frustration monte en lui, elle déborde, il en suffoque.

Effrayé, Marco prend du recul par rapport à sa vie de skin, abandonne ses bottes, son couteau, son crâne rasé. Seuls les tatouages resteront, rappel nécessaire de sa vie d’avant, de ses démons passés.

Un jour en France

Si, dans la première partie du film, Marco est également partie prenante de l’histoire qui se déroule en arrière-plan, celle de l’extrême droite française et du Front National, il en devient rapidement le spectateur impuissant. Certes, les ficelles qui le font se détacher définitivement de sa vie de skin nous ont parues un peu grosses, faciles – celles de l’épisode de la Coupe du Monde 1998 –. Mais après tout, à l’époque, on s’est tous laissés griser par cette génération black-blanc-beur unie, on a tous cru que le problème du racisme en France allait plus ou moins se régler, pauvres naïfs que nous étions.

A partir de ce moment-clef du film, Marco évolue de son côté et l’histoire de l’extrême droite française d’un autre, en arrière-plan mais toujours omniprésente. Ils se rencontreront à nouveau, lors d’une confrontation où Marco semble apeuré de voir resurgir la violence de son passé…

La réalisation du film, surprenante, illustre bien cette dichotomie. Au départ, Diastème pensait en faire un livre, de cette histoire. Mais, le jour de la mort de Clément Méric, il reconnait dans les agresseurs les visages de ceux qu’il a côtoyés, plus jeune. Il décide alors d’en faire un film. L’univers de ces agresseurs, il l’illustre dans la première partie, en de longs plans-séquences, presque insoutenables lors de certaines scènes.

Un français de Diastème © Mars Films © Mars Films
Un rythme qui change brutalement, dans la seconde partie du film. D’ellipses en ellipses, le film « zappe » soudainement d’un moment de la vie de Marco et de son arrière-plan politique à un autre. Et l’on découvre que l’abandon de sa haine ne l’a pas rendu plus heureux, bien au contraire. Sa vie part en lambeaux, et il observe, abattu, l’évolution de ses anciens camarades de jeu – leur descente, pour certains –, et du parti auquel il a contribué en son temps.

Côté casting, Samuel Jouy interprète Braguette, le skin devenu homme politique, avec beaucoup de justesse. La scène où il déclame un discours enflammé devant une assemblée de militants FN conquis est effrayante de vérité, et ses mimiques et tics de langages ne sont pas sans rappeler un politicien actuel, pourtant censé faire partie d’une mouvance politique bien plus républicaine. On notera également la présence de solides rôles féminins dans ce casting somme toute très masculin, interprétés par Jeanne Rosa (Kiki) et Lucie Delay (Corinne). Mais celui qui crève l’écran dans ce film est Alban Lenoir. Méconnaissable dans ce rôle-titre difficile et diamétralement opposé à ceux qu’il a interprétés jusqu’alors, il incarne un Marco à la fois effrayant et fragile, touchant même.

Un français est un film déprimant, certes, mais indispensable. Ne serait-ce que pour nous rappeler d’où viennent les cadres d’une mouvance politique qui cherche aujourd’hui à se dédiaboliser.


Un français, réalisé et écrit par Diastème
avec Alban Lenoir, Samuel Jouy, Paul Hamy, Olivier Chenille…
Sorti le 10 juin 2015