Les années sombres du fléau marcheur mondial


Il est incontestable que les zombies sont à la mode. Surtout grâce au phénomène Walking Dead qui à démocratisé les morts-vivants, zombies, infectés et autres non-morts. Avec des œuvres comme Orgueil et Préjugés et Zombies, on en arrive à un point où les corps en putréfaction ambulants nous sont servis à toutes les sauces. Et quand on voit l’exutoire que sont devenues les Zombie Walk organisées dans toutes les villes à travers le Monde, on se dit que le zombie est désormais terriblement mainstream et le revers de la médaille est que l’on arrive à saturation, que l’on a une impression de redondance.

Trop de zombies tue le zombie (en tirant dans la tête de préférence)

World War Z affAlors que ce mercredi sort le méga blockbuster World War Z de Marc Forster avec Brad Pitt en tête d’affiche, c’est l’occasion pour nous de parler de la mode des zombies en général et de ce film en particulier.

Vu en avant-première cette semaine, j’ai passé un excellent moment avec ce film, je ne me suis pas ennuyé une seconde, le casting est plutôt bon, quelques seconds rôles un peu inexploités mais tout le monde est bon. La photographie est jolie, le film est dynamique même si le cadrage pendant les scènes de cohue est assez agaçant tellement ça secoue dans tous les sens. A tel point que je me suis demandé si ce n’était pas une technique cache-misère qui, si elle accentue la confusion que peuvent ressentir les personnages, a aussi l’avantage de nécessiter moins d’images à bidouiller avec des morts-vivants. La musique signée par Muse passe très bien, rien à redire de ce coté là.

Mais voilà, après quelques jours de digestion, j’ai commencé à mettre des mots sur l’arrière-goût qui m’est resté après la séance. Mon opinion sur le film est toujours la même, c’est un excellent divertissement mais l’idée que le film aurait pu être tellement mieux, tellement plus grandiose et profond me travaille au point que je voulais cracher le morceau ici.

Je préviens dès maintenant nos fidèles lecteurs que je vais dévoiler des point importants de l’intrigue du film et du livre dont il est tiré.

Marc Forster réalise ici un film de bonne facture, un bon spectacle pour toute la famille et c’est peut être là tout le problème. Tout comme un I am Legend dont le matériau d’origine est excellent alors que le film est plutôt standard, World War Z, adapté du roman de Max Brooks qui a une dimension bien plus grande que la version ciné, s’avère être un film qui laisse un peu sur sa faim (et sur sa fin mais j’y reviendrai plus tard).

Zombie-vs-Baby-640x513Le film de zombies, avant de devenir le phénomène de mode que l’on connait actuellement, c’était film de genre avec un sous-texte politique, une dénonce métaphorique et allégorique. Sous le maccarthysme et pendant la Guerre Froide, les morts-vivants incarnent la peur du communisme et la peur des conséquences de la guerre nucléaire, par la suite il va dénoncer la ségrégation, la société de consommation, la militarisation, le terrorisme, les sciences, l’occulte (zombie vient du créole haïtien de la culture vaudou), etc.

Le zombie nous renvoie fondamentalement à nos peurs de ce qui est incontrôlable et inéluctable, la peur de laisser libre court à nos instincts primaires, la peur de l’autre. Le mort-vivant représente ce vaste monde qui veut littéralement nous dévorer.
S’il se relève d’entre les morts et marche aussi bien c’est peut être qu’il touche à des notions universelles, si chacun à déjà essayé d’imaginer comment il réagirait en cas d’attaque zombie c’est peut être parce que les situations décrites dans les différents films sont réalistes, plausibles, totalement crédibles et en adéquation avec des peurs que l’on se traîne tous. Que ce soit avant George Romero ou après – et grâce à lui -, le genre est codifié, il a ses chefs d’œuvres, ses classiques, ses nanars et autres navets mais même les plus mauvais ont quelque chose à dire.

Judaïc Park

Pour revenir un peu à World War Z, dans le livre de Max Brooks, fils de Mel Brooks et déjà auteur du génial et indispensable Guide de survie en territoire zombie, le monde est plongé dans le chaos de cette invasion de zombies. Le livre prend la forme d’une compilation de récits oraux de survivants de différentes nationalités apportant chacun un point de vue. Le roman a donc plusieurs narrateurs qui mènent une véritable réflexion sur les changements sociaux, politiques et religieux qu’implique l’invasion zombie sur la géopolitique mondiale.

Le film, quant à lui, n’offre qu’un point de vue, celui du personnage de Gerry Lane, père de famille et ancien enquêteur des Nations Unies qui reprend du service, il est incarné par Brad Pitt (qui est aussi producteur du film). Certains des batailles des hommes pour reconquérir les territoires zombies sont absentes du film, la guerre nucléaire et la destruction mutuelle entre l’Iran et le Pakistan est à peine suggérée, les boat people d’étasuniens essayant de rejoindre Cuba n’y est point non plus, ni même la guerre civile chinoise, la Russie qui devient une théocratie, les tactiques obsolètes et inefficaces des militaires, les vaccins frauduleux qu’essayent d’écouler les compagnies pharmaceutiques, et j’en passe. Je comprends très bien qu’on fasse des choix car tout ne peut pas être mis dans un seul film, mais certains sont discutables.

World War Z wetBrad Pitt arbore un look de baroudeur assez proche de celui qu’il avait sur Babel d’Alejandro Gonzalez Iñarritu, au niveau des morts-vivants on est sur des zombies qui courent comme dans L’armée des morts de Snyder, 28 jours plus tard de Boyle ou Je suis une légende de Lawrence, avec des spasmes corporels d’épileptique façon The Ring et des réactions qui font penser aux vélociraptors de Jurassic Park et aux claquements de dents des Aliens. Ça fait beaucoup de choses passées au mixer.

Comme je l’expliquais plus haut, World War Z, le film, n’a en commun avec le livre que le titre et la notion de zombie. Pour être plus rentable, il s’est imposé une autorisation PG-13, donc film tout public avec avertissement, ce qui explique qu’il n’y a pas de gore, presque pas de violence et rien de choquant. Mais quand on fait un film qui raconte une apocalypse mondiale par une pandémie virale qui transforme en zombie, autant se tirer une balle dans le pied. Je veux bien que le pouvoir de suggestion fasse partie de la magie du cinéma, mais un film de zombies à échelle planétaire, dans lequel on ne voit aucune goutte de sang, aucune tête qui explose et aucun corps vraiment en décomposition, c’est un film un peu trop aseptisé, édulcoré et Disneyen. C’est comme si un joueur de rugby avait le potentiel d’être le meilleur joueur du monde mais se refusait à faire usage de violence et à plaquer les autres (alors que c’est ce qu’on attend de lui) : il est juste moyen, bon tout au plus.

La déréliction de l’homme c’est délire aussi

World War Z budJe le répète, j’ai passé un très bon moment devant ce film, ce qui m’agace c’est avant tout ce potentiel gâché et toutes ses petits incohérences et autres ellipses qui donnent au film un coté bancal après coup.

Par exemple, les scènes de famille du début du film sont très bien, elles installent une ambiance tranquille et normale. L’alchimie entre les membres de la famille est crédible ; tout à coup le cataclysme commence, et là, la mère semble être une experte en survie surentraînée, ultra-prête, aucune hésitation, assurance dans les gestes pour sauver sa famille et épauler son mari.

Juste pour le clin d’œil, parce que ça m’a amusé, à la fin, le mari va dans un centre de l’organisation mondiale de la santé, l’OMS et World Health Organisation ou WHO en anglais, donc tous les docteurs du centre sont crédités comme des WHO doctors. Ce qui a titillé mon geek sense.

World War Z tingling spidey senseOn peut lire dans la presse que les producteurs n’étant pas satisfait de la fin, qu’ils trouvaient trop sombre, ont fait retourner le dernier quart du film. Le problème est que cela se remarque. Les trois premiers quart sont plongés dans un esprit assez punk, no future, les personnages sont résignés, c’est la fin du Monde on fait avec. Le ton est plutôt à l’humour noir, à l’ironie et au désespoir dans un chaos où on essaye de rattacher à certaines valeurs comme la famille, l’ambiance est oppressante et le danger est présent.

Le dernier quart du film change complètement de ton, sous prétexte d’offrir de l’espoir et après un enchaînement assez capillotracté, tout se résout comme par miracle, les couleurs deviennent neutres, la théorie mise en place petit à petit dans le film prend son sens, le héros se sacrifie pour le bien de tous et même quand tout semble plié, la tension n’est pas vraiment là, on n’y croit plus trop. « Mais ce n’est que le début », nous dit la voix off.

Au final on écope d’un bon divertissement un peu trop familial pour être honnête, à trop vouloir plaire à tout le monde et en faisant trop de concessions, quitte à trahir son genre cinématographique, on finit par être un blockbuster estival de plus. On attend le jeu vidéo, la série ou le comic book dérivés du film pour voir si cette univers franchisable arrivera à la hauteur du livre.

 

Wolrd War Z

de Marc Forster

3 Juillet 2013


avec Brad Pitt, Mireille Enos, Fana Mokoena, Elyes Gabel, James Badge Dale, Daniella Kertesz, David Morse