A la Saint Valentin, l’amour c’est que pour les Amphibiens


Cet article a été publié pour la première fois le 14 février 2012, mais il est toujours d’actualité – comme quoi, rien ne change en ce bas Monde.

En cet équateur presque parfait du mois de février (presque, puisque même si je doute qu’il fallut vous expliquer, public sagace, en cette année Olympique et Paralympique, le mois compte 29 jours) va se manifester, une fois de plus, un saint dont la célébration va apporter son taux de cartes mièvres, de bouquet de végétaux décédés, de glycémie sirupeuse et de TVA dans la restauration. Ce salopard a pour nom Valentin.

 

Martyr à l’arc

Comme tout bon saint qui se respecte, ce brave Valentin a subi les pires outrages (rétrospectivement on peut dire qu’il l’aura bien mérité) au cours de sa courte vie de rebelle chrétien. Oui, c’est vrai, ça fait bizarre pour qui voit le Pape aujourd’hui, les rebelles d’un jour sont souvent les régnants de demain, méditez bien ce moment de philo gratuite. On peut même parler de braves d’ailleurs, puisqu’il semblerait que ces bougres soient plusieurs. En effet selon Wikipédia, notre déontologie journalistique n’allant pas plus loin que celle de n’importe quel pigiste de site d’infos, il y aurait eu plusieurs personnages répondant à ce doux nom. Une seule constante, leur statut de martyr. En même temps, avec un prénom comme ça, on est en quelque sorte prédestiné à l’être, et ce dès l’école primaire. Un peu comme Adolf ou Clitorine.

Aujourd’hui cette fête représente l’amour courtois et chaste. Issue du romantisme du 19e siècle, passée à la moulinette anglo-saxonne et remise sur le devant de la scène par les sociétés commerciales toujours en recherche de moments où nous fourguer ses différents produits, le 14 février est devenu un moment aussi horripilant que la fête des grand-mères, aussi lourdingue que Noël et aussi intrusif qu’Halloween, un sacré exploit. Entre les solitaires qui se sentent à l’écart et les duos qui se sentent obligés, on est loin de l’idée d’une fête. Et pourtant, si on remonte aux origines, on pourrait être en présence d’un sacré moment de rigolade devant lequel une partie de Hurling ressemblerait à une partie de bridge. En effet, issue des temps païens, et soigneusement formatée par une église devenue au fil des siècles fort scrupuleuse (sinon voyez les sculptures plutôt osées de l’époque romane), toute célébration moderne est un avatar light de ce que faisaient nos ancêtres barbares. Sacrifices de vierges, abattage d’animaux et transes nus sous la lune, c’était le bon temps.

 

La fête Rome Antique

Pour saint valentin Mandorine vous offre un cœur.

La moitié du mois de février correspondait donc à une célébration délicate du nom de Lupercales. Temps de la fertilité chez les grecs, puis les romains, on était loin de la carte musicale avec un chiot et un cœur (culcul dans tous les cas sauf si ladite carte montre ces éléments dans l’autre sens et au premier degré). Certains disaient que les jeunes amoureux de l’époque se dessinaient leur noms sur les urnes (sans B). Trop léger pour nos ancêtres, il semblerait plutôt que ces festivités impliquassent des chèvres écharpées, du vin, des prêtres, des hommes nus et un cache-cache avec des jeunes filles en fleur. Voilà qui est mieux. En même temps avec une fête en l’honneur de Junon, déesse de la fertilité, et surtout de Pan, satyre en chef, pouvait-il en être autrement? Au final on a perdu une bonne vieille tradition plus Marc Dorcel que Jane Austen de mecs en rut touchant les femmes avec un morceau de peau de bouc sanguinolent et s’adonnant à des vices divers dans les ruelles. Dommage.

 

A la Saint Valentin, je te caresse les… mains

Une carte de saint valentin nouvelle génération

Le Moyen-Âge, l’Église et l’amour courtois étant passé par là, on est passés d’une fête sexuelle digne des backstages de Led Zep’ à un truc aussi excitant que les thés dansants, avec billets doux, chocolats pleins de sucre et d’huile de palme et bouquets garnis. Pourquoi ? Comment ? A vrai dire difficile de l’expliquer. En s’appuyant sur les chiffres très sérieux du FUCK (Fond Universitaire sur les Couples du Kansas, organisme dont le sérieux et l’authenticité n’est plus à démontrer), les conclusions sont catégoriques : la Saint Valentin c’est comme TF1, tout le monde trouve ça nul, mais tout le monde y participe. Le 14 février c’est donc la curée pour restaurateurs, des fabricants de cartes mignonnes et des fleuristes, qui en profitent pour fourguer menus et créations à un prix si excessif que le chiffre d’affaire dégagé servirait aisément à rembourser la dette de la Grèce. Par contre pour les premiers intéressés, les couples, quelle que soit leur orientation sexuelle, c’est la soupe à la grimace : lieux bondés, vague malaise due à une sensation de conformisme moutonneux à se retrouver dans une salle au nombre de couverts multiples de deux, regard en coin pour savoir si on a l’air d’autant s’emmerder que ceux d’en face. Au final, la finalité lubrique des origines, qui quoi qu’on en dise demeurait encore dans l’esprit des célébrants, et vite éclipsée après une note qui donne plus envie de faire la moue façon Lana del Rey que l’amour façon Marvin Gaye.

 

Amplexus-moi

Cröama-sutra

Mais alors, concrètement, où se niche l’amour à la Saint Valentin, pourquoi l’équateur du mois de février a-t-il toujours et pour bien des civilisations, été associé à la procréation? Nos anciens pensaient que la saison était celle de l’accouplement des oiseaux (en plus de la leur), ce qui comme tout le monde le sait est faux. Par contre le mois de février est la période où d’autres êtres tout aussi fascinants se laissent aller au stupre et à la fornication : les amphibiens, c’est à dire les grenouilles et autres salamandres. Mais voyons, me direz vous, ces animaux ont le sang froid, ils ne peuvent en aucun cas s’ébattre à cette période où la bise aurait tôt fait de les transformer en frog on the rocks ? Et pourtant c’est à partir des premiers jours de redoux après les grands frimas de janvier que nos amis batraciens sortent vaillamment faire leur boulot de pérennisation de l’espèce. Dès les premières pluies, une fois le soleil couché et par quelques degrés au thermomètre, les voici par centaines, grenouilles agiles, crapauds communs et salamandres tachetées, à courir la campagne, le besoin impérieux de copuler supplantant sans mal le fond de l’air si frais. Ce sont alors des scènes digne des Lupercales, le moindre étang qui n’a pas encore été comblé par le puissant lobby anti-moustique faisant office de gigantesque lupanar où l’on assiste à la danse sexuelle des tritons ridiculisant la lambada, où se forment des amplexus orgiaques où l’on se laisse aller à deux, trois, quinze. Certes, de romantisme il n’y a point, sauf si l’on considère le summum de la classe d’agripper sa compagne, d’arroser les œufs qui en sortent de sa semence et d’abandonner le tout sans autre forme de procès (tout est question de point de vue). Mais au final c’est ça le fascinant cycle de la nature. Moins spectaculaire qu’un orque dévorant une otarie comme on avale une olive, mais tout aussi efficace.

Alors si ce soir il bruine, que vous n’avez pas envie de vous coller une soirée sinistre d’obligation sociétale, faites cette proposition à votre valentin/e/ami/e/chèvre : laissez de côté le restau, faites des économies, ne prenez pas de voiture, machine à transformer les grenouilles en porridge, mettez bottes et ciré et allez faire un tour avec une lampe de poche, peut-être que de voir la vigueur de vos cousins à la peau muqueuse en exposant vos toutes fraîches connaissances vous donnera des idées lubriques, et tout le monde aura gagné sa soirée. Conseil d’ami.