Qui joue en première base ?


Il y a quelques temps je suis tombé sur le téléfilm d’HBO, Temple Grandin, l’histoire vraie d’une femme qui est autiste de haut niveau. Si je suis d’abord allé vers ce film pour son excellent casting – de Claire Danes, Julia Ormond, Catherine O’Hara à David Strathairn , ils sont tous géniaux – c’est la représentation de l’autisme et ce que l’on en apprend qui m’ont surtout séduit.

 

Autistic kids rocks

Temple Grandin est diagnostiquée très tôt comme autiste, elle ne commence à parler qu’à l’âge de 5 ans, fait des crises, aime tourner sur elle-même, ne regarde personne dans les yeux etc. Tous les stéréotypes de l’autisme. Pour sa mère, que les théories de l’époque (les années 50) rendent coupable de la condition de sa fille, c’est un combat au quotidien, elle va tout faire pour aider sa fille et elle va y parvenir. Temple sera scolarisée, forcée à être le plus polie possible, sociable etc. C’est en partie l’acharnement de sa mère à l’intégrer, à la rendre « normale » qui va l’aider dans sa vie et lui permettre de se développer.

Temple Grandin aura également la chance de rencontrer un professeur de sciences qui va la comprendre, la pousser à développer son don en le mettant en pratique. Le don de Temple, c’est de penser en termes d’images et de les associer. Elle ne comprend rien à tout ce qui est abstrait, pour elle tout n’est qu’images et association d’images. Elle finit par être diplômée en psychologie et surtout elle est docteur en zootechnie. Elle se rend compte que les animaux, le bétail en particulier, ne connaissent qu’un monde en images, il ne connaissant pas les concepts et les mots, ils voient, sentent et entendent… tout comme l’autiste qu’est Temple Grandin. Elle va concevoir plusieurs systèmes révolutionnaires pour rendre plus efficaces mais surtout plus humaines les techniques d’élevage et d’abattage. Je concède que ce n’est pas le sujet le plus passionnant qui soit mais c’est plus l’aspect humain qui est intéressant, le reste n’est qu’un prétexte. Sa réussite et ses diplômes font d’elle une référence pour comprendre comment fonctionne l’esprit d’un autiste et elle devient l’incarnation des espoirs des millions de parents de jeunes autistes aux États-Unis.

 

Autism Reading

Mais avant d’aller plus loin, il est peut-être intéressant de parler de l’autisme lui même. C’est avant tout une maladie intimement liée à l’enfance, ce qu’on appelle un trouble envahissant du développement (ou TED), et presque toujours une grande difficulté pour de nombreuses familles.

 
Il y a de nombreux débats mais pour faire simple il existe trois grandes catégories d’autistes qui composent le spectre autistique et les frontières entre elles sont floues et perméables. La première est celle des autistes de Kanner, ils sont les plus handicapés, ils ne communiquent pas, sont complètement hermétiques aux autres et se retrouvent le plus souvent institutionnalisés.
La second catégorie est celle des autistes de haut niveau, ces autistes « savants » qui semblent être de très bons sujets de fiction. Ils ont tous les symptômes et les handicaps de la première catégorie mais cette différence s’accompagne d’une affinité extrême pour un sujet ou un talent hors du commun pour une discipline. Temple Grandin voit en images et comprend les animaux mais pas les humains, d’autres sont doués pour les arts plastiques, ont l’oreille absolue, d’autres sont doués pour les mathématiques et les nombres en général, d’autres ont une mémoire eidétique, une mémoire prodigieuse, etc.

La dernière catégorie est celle des personnes atteintes du syndrome d’Asperger, que l’on considère souvent comme des génies. Il est difficile de suivre leur raisonnement, leurs idées dépassent l’entendement de beaucoup de personnes mais ils parviennent à être un tant soit peu sociables. Ils ont tous les avantages d’un cerveau brillant et sont moins handicapés.

Les personnes diagnostiquées dans ces deux dernières catégories se ressemblent beaucoup, mais histoire de les différencier, disons que les Asperger ont moins de difficultés dans la vie et s’expriment souvent assez bien, enfin mieux que les autistes de haut niveau dans l’ensemble.

 

Another Brick in the Wall

Justement, ces jours-ci, a lieu en France un débat sur l’autisme. La documentariste Sophie Robert qui préparait un film, Le Mur ou la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme, qui traite de la prise en charge de l’autisme en France, est arrivée à un constat alarmant. Elle s’est rendu compte que, chez nous, il existe encore des psychanalystes qui, à l’encontre de toutes les dernières théories et du bon sens, continuent de penser que l’autisme est une condition qui met directement en cause les parents et leur comportement vis-à-vis de leur bébé. Dans les années 50 on considérait l’autisme comme une forme de schizophrénie infantile, on pensait que c’était un manque d’amour maternel qui provoquait ce repli sur soi de l’enfant et on préconisait l’internement en centre spécialisé sans aller plus loin. Le documentaire arrive à la conclusion qu’en France, on traite les enfants autistes et leurs parents comme dans les années 50, dans un rejet total des théories comportementalistes qui considèrent que c’est bien plus un problème de chimie du cerveau qu’une histoire de faute parentale.

Les psychanalystes intervenant dans le film attaquent en justice la réalisatrice, l’accusant d’avoir déformé leurs propos. Personnellement j’espère qu’elle a vraiment manipulé leur propos, sinon cela signifie qu’en France on a 60 ans de retard sur une chose aussi importante que l’avenir de jeunes enfants. Le constat est d’autant plus alarmant et choquant que l’Autisme a été choisi en France comme Grande Cause Nationale en 2012 (!!).  Qu’il y ait un débat entre psychanalystes et comportementalistes est une chose mais que cela se fasse aux dépends des enfants et de leurs parents me parait insupportable. C’est comme si on traitait encore les schizophrène en les trépanant.

Les théories comportementalistes sont, le plus souvent, les plus bénéfiques pour tout le monde. Elles impliquent les parents dans le processus d’éducation de leur enfant, quand les psychanalystes les rejettent et les rendent coupables. C’est au bas mot criminel à mon sens. Les comportementalistes, dans le cas de l’autisme, prônent une stimulation incessante de l’enfant, appliquant des mécanismes que des personnes comme Temple Grandin ont aidé à mettre en place et qui donnent des résultats. En entendant parler de ce débat, j’ai tout de suite repensé aux évènements racontés dans le téléfilm sur Temple Grandin, on y retrouve cette opposition entre les psys un peu réactionnaires, conservateurs, et les idées de Temple Grandin qui sont d’abord incomprises. Donc on peut dire que dans le cas précis de l‘autisme, les vieux dinosaures de la psychanalyse devraient être interdits d’exercer pour le bien de milliers de personnes.

EDIT 23/01/2014 : le documentaire est à nouveau libre de diffusion, suite à la décision de la cour d’appel de Douai.

 

Bazinga !

Mais revenons à des choses moins austères, on constate que, principalement depuis les année 80 avec Rain Man, l’autisme est ponctuellement le sujet, ou un atout, dans des films hollywoodiens.

Rain Man a ému des millions de personnes en faisant connaître cette pathologie qu’est l’autisme, plus particulièrement l’autisme de haut niveau, et a valu un Oscar à Dustin Hoffman. Tout le monde se souvient de la boite d’allumettes, des répliques répétées comme des mantras et de la tendresse qui prend finalement le dessus malgré la bizarrerie de Raymond.

De façon non exhaustive on pourrait citer en plus des deux films précédents Code Mercury avec cet enfant qui parvient à décrypter un code militaire; Cube avec ce jeune homme autiste qui connait tous les nombres premiers; Mozart and the Whale dans lequel un couple d’Asperger aux talents différents trouve l’amour; Adam dans lequel un jeune homme Asperger, perd un parent, trouve l’amour et évolue; Mary & Max, dans lequel le personnage de Max peut à peine sortir de chez lui ; My name is Khan qui mêle Asperger et discours sur la tolérance.

Tous comportent des personnages autistes de haut niveau ou Asperger, et ils sont souvent rendus intéressant par leurs talents ou dons ; mais la plupart du temps c’est l’aspect universel de ce qu’ils vivent à l’extrême qui fait la qualité des films concernés.

Les séries aussi comportent de plus en plus de personnages autistes ou assimilés. Citons en vrac Sheldon Cooper dans The Big Bang Theory, le personnage joué par Mary McDonnell dans Grey’s Anatomy, Sherlock Holmes dans la série britannique Sherlock, Gary Bell dans Alphas, un agent du fisc dans New York : Section Criminelle, Adrien Monk dans la série éponyme et, d’une certaine façon, House aussi.

Les rôles d’autistes valent souvent des prix d’interprétation aux actrices et acteurs qui si essayent. Claire Danes ne déroge pas au phénomène et a obtenu de nombreux prix pour son rôle de Temple Grandin.

 

Autism Elevators

Ce qui ressort de tous ces films et séries, c’est que ces personnages autistes sont malgré eux inadaptés, pour eux tout se passe au premier degré, ils comprennent tout littéralement. Ils refusent le contact physique la plupart du temps, le monde est pour eux quelque chose de très agressif et les expressions du visage, et la communication non verbale en général, leur sont étrangères. La cécité psychique qui caractérise quasiment tous les autistes ne leur permet pas de comprendre les autres. Elle les rend honnêtes et hermétiques aux mensonges, aux sarcasmes et autres jeux d’esprit. Quand ils se rendent compte qu’on leur a menti ils peuvent même très mal le prendre.

Ils ont peur des choses qui pour nous sont normales, certains bruits, certains objets, certaines personnes et certaines interactions leurs sont impossibles pour différentes raisons qui dépendent souvent de chaque individu. Une constante est leur solitude et cette volonté de l’absence de changement, l’immuabilité, une routine à laquelle se rattacher.

L’autisme quand il est présenté dans les films devient souvent assez fascinant et passionnant. La mémoire photographique, le don pour les calculs, l’hypermnésie et autres talents qu’on retrouve chez les autistes sont plutôt cools, comme ça, à froid, mais il ne faut pas oublier qu’ils s’accompagnent d’une ribambelle de désagréments dont cette inadaptation sociale.

 

Les autistes qui changent le Monde

A titre d’exemple on peut rappeler que certains autistes, principalement des Asperger, ont contribué à changer le monde tel qu’on le connaît, et ce depuis des siècles. Wolfgang Amadeus Mozart, Albert Einstein ou Thomas Jefferson étaient très probablement des Asperger. Souvent appelé le « syndrome du Geek », le syndrome d’Asperger, qui ne se résume pas à ça, fait des personnes qui en souffrent des puits de science dans des matières spécifiques.

Pour conclure je dirais que l’on peut être autiste sans être un génie comme on peut être un génie sans être autiste. On en apprend tous les jours un peu plus sur cette condition, ce qui la rend toujours fascinante et intéressante. Chaque cerveau a des affinités avec telle ou telle discipline, Chaque cerveau a tel ou tel défaut et l’autisme n’en est souvent qu’une accentuation, que ce soient des talents comme des névroses. On peut être tout en bas ou tout en haut de l’échelle de l’autisme mais l’important c’est de trouver ce que l’on aime pour s’épanouir. On a besoin de tout type de cerveaux pour avancer et surtout s’ils sont brillants comme peuvent l’être ceux de certains autistes. Donc aider ces personnes à se développer et transmettre leur savoir est une nécessité. Les films et séries volontairement ou involontairement contribuent à l’intégration des autistes, ils prouvent par des histoires concrètes que ces personnes peuvent et doivent aller de l’avant pour leur bien, celui de leurs familles et, allons-y !, celui de l’humanité.

Et comme disait Bébert Einstein :

« On est tous des génies. Mais si vous jugez un poisson sur sa capacité à grimper aux arbres, il vivra toute sa vie en croyant être stupide. »

Temple Grandin
avec Claire Danes, Julia Ormond, Catherine O’Hara, David Strathairn…
2010