Futurama


Avec un titre pareil, on est en droit d’attendre une série de type SF. C’est à la fois très vrai, et très faux. Imaginez… New York City. Veille de l’an 2000. Vous êtes un jeune mec paumé, coincé dans un dead-end job, votre copine vous largue en laissant vos affaires sur le trottoir, vous travaillez le soir du nouvel an ET il pleut. Bien sûr, vous livrez vos pizzas à vélo, sinon, où serait le fun ? Vous êtes n’importe quelle personne de notre époque, de celles qui n’ont pas de chance : un loser. Et il n’y a aucune raison pour que cela change.

Sauf que… Ce soir, votre vie va changer. Suite à un « accident » banal, vous êtes cryogénisé. Réveil : New-New-York, 31 décembre 2999. Entre temps, les extraterrestres ont eu le temps d’envahir la planète, d’en être expulsés, des sociétés médiévales se sont reconstruites, ont été – à nouveau – rasées par les E.T., et cætera. Plus d’amis, plus de famille, votre vie a disparu. Votre première réaction ?

Fry, l'anti-héros par excellence

Whoo-hoo!

Une récidive

Le visage de Fry ne vous est pas inconnu ? Logique, Matt Groening, le créateur d’une famille américaine jaune citron, est à l’origine de Futurama. Si, en apparence, les deux séries se ressemblent énormément, Futurama développe un concept bien différent. Les héros de la série sont surtout des célibataires et de jeunes couples : le clonage et la médecine ayant rallongé les durées de vie, la structure familiale traditionnelle semble avoir éclaté (vous vous voyez vraiment vivre 170 ans avec la même personne ? Fiou…).

On n’est pas très loin de notre réalité contemporaine.

New-New-York est un environnement urbain rude et anonyme, où il est difficile de créer de solides relations. Un travail à vie vous est assigné, il est impossible d’y échapper. Les personnages semblent ne pas se préoccuper de leurs concitoyens, un racisme sous-jacent est entretenu (anti-mutant, anti-extra-terrestre, de nouvelles normes ont été édictées, les marginaux en sont donc toujours rejetés). Le président de la Terre (oui, vous avez bien lu), le président de la Terre, donc, est Richard Nixon, la capitale, Washington. Réchauffement climatique, pollution hautement toxique, bureaucratie inflexible et toxicomanie industrialisée (le crack est vendu via des distributeurs, comme les bonbons) viennent compléter le tout. Vu d’ici, les USA, pardon, la Terre de l’an 3000 ressemble à la fusion de romans d’Orwell et Huxley, saupoudrée à la sauce cartoon. Le souci du spectateur se trouve là :

Outch, on est bien sur Terre.

Fry est embauché par son arrière-arrière-arrière-(…)-arrière-petit-neveu dans une société de livraison (Planet express, avouez que c’est original), se fait plein d’amis et vit plein d’aventures. Le neveu de Fry est un vieillard sénile, inventeur à ses heures et pour l’implantation du cerveau d’Hitler dans le corps d’un requin-tigre. Son meilleur ami est un robot-tordeur alcoolique, cleptomane et mégalo, dont le but ultime est d’exterminer le genre humain. La femme de ses rêves – une mutante à un seul œil, commandante du vaisseau et féministe – lui offre en moyenne trois râteaux par semaine. Ajoutez dans l’équipe un homard-chirurgien qui tue plus de patients qu’il n’en sauve, une martienne légèrement boulette sur les bords et un comptable-rasta-champion de limbo, et le compte est bon.

L’intérêt de la série se trouve ailleurs. Certes, elle contient son lot de personnages hauts en couleurs, des aventures plutôt drôles et épiques, ainsi que des répliques cultes. Mais la série est bourrée de références et de messages tellement évidents qu’on ne peut passer à côté.

Matt Groenning crée de nombreux lien entre Futurama et les Simpsons. Le fameux « Eat my shorts » de Bart obtient ainsi sa place dans la série. Au même titre que Star Trek, Star wars, Orwell, Pacman, Roald Dahl, Saint-Exupéry, Melville, Twain, et pléthore d’autres marques, écrivains, jeux – rayer la mention inutile…

Si Groening ne sait pas dessiner, il est au moins doué pour les scénarios.

Revenons à nos moutons (ils ne sont pas encore en voie d’instinction). Dès le début, Groening et son équipe balancent sec : gouvernement dictatorial, suprématie de la télévision – notez l’ironie -, désintérêt général pour la politique – d’où une élection complètement absurde -, cynisme des New-new-yorkais, inconscience écologique, sectes, marketing et pub à outrance… N’ayez pas peur, ce n’est que la première saison, qui est d’ailleurs plutôt soft : moitié observation acerbe de la société, moitié délire total.

Au fil des épisodes, on découvre un monde rétro-futuriste, bien loin de l’utopie. A la différence d’une production comme Les Jetsons, qui montrait un futur efficace, propre et heureux, Futurama propose une vision caustique, où les humains doivent encore gérer les problèmes engendrés au XXe siècle. La tendance la plus évidente semble être la dépréciation générale de la vie. Depuis l’an de grâce 2008, Vitamort est devenue la cabine à suicide préférée des Américains, le meurtre est jugé avec désinvolture, il entre même dans le cadre de la bureaucratie (on peut demander une autorisation de tuer, à main nue ou avec une arme à feu).

L’indifférence à la mort et à la souffrance se retrouve dans les perpétuelles guerres de la Terre contre des peuples et planètes inconnus et jugés inférieurs. L’ODP, Ordre Démocratique Des Planètes, a été fondé en 2945 après la Seconde Guerre galactique (un parallèle évident avec l’ONU), mais, malgré son existence, les relations interplanétaires sont pauvres, engendrant de nombreuses guerres et invasions, généralement mal préparées et déclarées pour des raisons futiles. Au final, le téléspectateur se trouve face à une désagréable similitude : les guerres de Futurama ressemblent à s’y méprendre aux guerres de décolonisation et « anti-terrorisme » de ces cinquante dernières années. Des guerres où l’on combat l’ennemi par ignorance, peur, attrait du gain ou du pouvoir, où l’on s’embourbe et dans lesquelles on s’obstine pour ne pas perdre la face, quelles que soient les pertes humaines (ou robotiques).

Les religions sont devenues de vastes n’importe quoi (de l’oprahisme au vodoo en passant par la vénération de Star Trek), et, si les religions actuelles existent toujours, leurs symboles sont galvaudés. Noël est par exemple célébré dans la peur d’un père Noël robot. Le Pape Sidéral a décalé la fête de la Nativité en juillet pour qu’elle tombe le jour de son anniversaire. Le 25 décembre ne représente plus que le solstice d’hiver. La seconde venue de Jésus a eu lieu en 2443, mais ses effets sur la société ont été limités à l’interdiction de la religion Star Trek. Une secte pour robot, la robotologie (toute ressemblance avec l’église de scientologie serait volontaire), rassemble un grand nombre d’adeptes et propose elle aussi de se différencier des « pécheurs » par un signe vestimentaire visible…

Allergiques aux Simpson, s’abstenir.

La saison quatre de la série est donc assez déprimante. L’humour caustique laisse place à un gout amer… Il faut noter qu’au début de la production de cette saison, les animateurs venaient d’apprendre que la série ne serait pas reconduite, ils ont donc inséré dans cette saison toute leur amertume et surtout, tous les thèmes qu’ils souhaitaient aborder dans les saisons qui auraient suivi.

L’humour de Futurama ne plaira pas à tous mais, pour les fans de Groening ou d’humour décalé, foncez. La série vous offrira, au-delà de cette vision de la société bien noire, de très nombreux moments de rigolade. A noter que, face au succès de la série (les fans réclamaient à corps et à cris de nouveaux épisodes), Matt Groening et la 20th Century Fox ont décidé de produire quatre longs métrages de 88 minutes chacun vendus en direct-to-DVD, puis découpés et édités afin d’être diffusés sous forme de seize épisodes (quatre par films) en 2008 et 2009 sur Comedy Central.

Futurama

de Matt Groening

7 saisons