Jonathan Livingstone le goélol


Il est aujourd’hui de notoriété publique que notre dégénérescence en tant que civilisation et en tant qu’espèce est largement entamée. En effet, comment pourrions-nous sinon expliquer que l’Internet, cette invention d’austères militaires mise en place pour faire circuler l’information scientifique ou espionner ses concitoyens soit aujourd’hui devenu le royaume d’un animal aussi fourbe que paresseux, le chat ?

Dé-chat-ance

Essayez de réfléchir. Depuis les débuts souffreteux du réseau, à cette époque héroïque du modem 56k et de son cri si semblable à celui de l’Engoulevent d’Europe.

Déjà, vous receviez des diaporamas avec des chatons accompagnées de phrases mielleuses qui, comme le disait le poète, donnaient envie de dégueuler du plutonium. Mais il a fallu attendre que les débits deviennent hauts pour voir le fourbe félin poser sa patte aux griffes rétractiles sur le réseau du monde entier grâce aux centaines de vidéos plus ou moins absurdes qui fleurirent alors, lui offrant une place de choix dans le panthéon mondial. Si l’on prend en compte que la dernière civilisation à avoir fait ça était celle de l’Égypte ancienne, on peut dire qu’on est mal barrés…

Mouette et chantons

goelol3Mais point de digression féline ici, ce n’est en effet pas le sujet qui nous occupe. La vraie question en effet n’est pas de savoir comment les chats ont envahi nos écrans mais surtout pourquoi. D’autres animaux à la fourberie sans fond, à l’œil torve et au potentiel comique existent autour de nous (coucou Serge le Lama, tout le monde t’a oublié aujourd’hui mais on te fait quand même un bisou), il était de notre devoir à Mandorine de réparer certaines injustices. Et de vous présenter l’animal qui sans aucun doute remplacera Felis silvestris catus dans le cœur des internautes sous peu, ou tout du moins dans les vôtres nous l’espérons, le Goéland.

Quoi ? L’albatros ? Non, le goéland. La Mouette alors ? Non, le goéland. Chers amis peu férus d’ornithologie, quelque mots d’abord sur les larinés, ceux que nous considérons souvent sous l’appellation de mouettes. Famille d’emplumés fréquentant les littoraux et les zones humides, il ne faut pas les confondre avec les oiseaux de haute mer (puffins, albatros ou autre pingouins, qui je vous le rappelle volent et peuplent l’hémisphère nord, contrairement aux manchots), ils sont représentés par une dizaine d’espèces sous nos contrées. Les plus gringalets d’entre-eux sont, de façon volontairement simpliste, qualifiés de mouettes, dont la célèbre mascotte de Gaston Lagaffe, la mouette rieuse. Plus balèze, vous regardant avec leur œil torve et leur bec tranchant, ce sont les goélands, assurément, les stars de demain.

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Ils ont en effet tout pour plaire. Une certaine majesté apparente, une grande fourberie cachée au fond d’eux. Véritables racailles volantes, un de leurs passe-temps favoris en conditions naturelles étant de faire régurgiter les proies d’autres espèce d’oiseaux pour s’en goberger, ils possèdent en cela un potentiel comique insoupçonné. Car ne nous voilons pas la face : ce qui nous amuse chez les chat est avant tout leur instinct prédateur violent et fourbe sur lequel on plaque bien artificiellement nos émotions humaines. N’ayez donc crainte, le goéland en est largement pourvu.

 

« Le simple goéland des ornithologues peut gagner ses galons de Goélol de l’Internet »

On est pas bien là, décontractés du goéland?

Pour qui habite une ville côtière, la présence de la bête est un délice quotidien. Entre les cris lancinants et les fientes recouvrant le Monde d’une couche de peinture blanche et nitratée, l’animal passe peu inaperçu, d’autant que sa carrure de gros balèze volant lui confère un culot n’ayant rien à envier à un ado en pleine rébellion hormonale. Surtout quand il y a de la nourriture en jeu. C’est à ce moment que le simple goéland des ornithologues peut gagner ses galons de Goélol de l’Internet.

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Ne craignez rien, la poussette est vide, un autre goéland ayant déjà mangé l’enfant

En effet, l’incroyable nonchalance de l’animal, alliée à la hardiesse de se savoir bien pourvu en cas de pépin (même s’il pèse à peine un kilo, aller défier ce gros poulet au bec acéré représente un challenge), lui fait oser à peu près n’importe quoi, de l’intrusion dans une cuisine pour consommer une délicate salade de thon au racket du badaud se croyant peinard à l’heure du goûter, de la mise à sac d’une poussette  au vol à l’étalage caractérisé.

Confronter les exploits des goélols à ceux des chats, c’est un peu comparer MC Solaar et Joey Starr…
Tout comme les félins, les goélols ont le chic d’avoir l’instinct de savoir se mettre en valeur au bon endroit et au bon moment. Les animaux en général étant plutôt doués pour le photo bombing et autres mises en avant involontaires, nos amis laridés héritent de cet état de fait et se retrouvent en première ligne lorsqu’il s’agit de se trouver en premier plan sur une caméra de fond bleu ou de chouraver une GoPro transformant ainsi la sempiternelle vidéo de coucher de soleil en accéléré en une aventure un peu plus originale et excitante.

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D’accord me direz vous, ils égalent bien les chats en terme de sournoiserie amusante, et tout comme ces derniers, ils sont champions à l’heure d’afficher un profond mépris pour tout autre être vivant,  mais qu’en est-il des comportements absurdes et autres mignonnetés? Eh bien sachez qu’ils savent se défendre de ce côté-ci, voyez plutôt les charmantes boules de duvet nidifuges que sont la progéniture de nos héros du jour.

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Certes, leur cri est un poil plus lancinant que les miaulements d’un chaton (quoique…), mais il est difficile de résister à l’envie d’en adopter pour en faire votre mascotte, même si, nous nous devons vous prévenir, il se transformera rapidement en goéland ado nettement plus volumineux et fourbe. Les chagrins pourront toujours arguer que ces jolies bestioles se nourrissent des larcins parfois sanguinaires de leurs parents, qui n’hésitent pas à aller se servir dans les nids d’autres espèces, mais quand on plébiscite à force de clics un prédateur féroce, pourtant subventionné à coup de Sheba<, qui massacre des millions de passereaux au point d’en faire une des principales causes de déclin de la biodiversité en Nouvelle-Zélande, on fait un peu moins le malin.

Goélol, prends-donc ton envol!

goeloldance2Quant aux comportement mystérieux mais amusants, rien que leur démarche dandinante, qui aurait sa place dans le ministère inventé par les Monthy Python, ou leur manie de tortiller de la queue lorsqu’ils se posent (les connaisseurs apprécieront) en font des comiques slapstick en puissance. Et il devient difficile de leur résister lorsqu’ils se retrouvent pris au piège d’un sac en papier provenant d’un célèbre restaurant rapide à sandwich à la viande ou lorsqu’ils s’improvisent en Fred Astaire du jardin public.

Mais alors pourquoi les serveurs de la toile mondiale ne croulent-ils pas sous les gigaoctets de vidéos en haute définition de nos nouvelles idoles à plumes? Peut-être est-ce du à une mauvaise réputation de brigand qu’on est allé leur coller sur le dos, juste parce qu’en bon opportunistes, ils ont su profiter de nos largesses et de notre propension à gaspiller? Parce que contrairement au chat, devenu un squatteur de première à qui il ne manquerait plus que les rastas et la 8-6, il est resté sauvage jusqu’au bout du gonys (c’est la petite tâche rouge du bec, petits coquins je vous voyais déjà penser à autre chose), ce qui nous prive certainement d’un nombre faramineux de séquences délicieuses, celles-ci prenant part dans l’intimité de la nature ? La question demeure en suspens. Il n’en reste pas moins que la star actuelle a peut-être trouvé un challenger sérieux et à sa taille, et si vous, amis lecteurs, vous vous prenez de passion pour ce noble animal, et faites passer la bonne parole, un jour les goélol régneront sur le monde.

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