Katawa Shoujo, le visual novel pour ceux qui n’aiment pas ça
Dans ma carrière de joueur sur ordinateur, je pensais ne jamais croiser la route des visual novels, ce type de logiciel qui vous met dans la peau d’un protagoniste, généralement masculin, dont le but est de sortir et/ou coucher avec la fille de votre choix. Cela s’apparentait pour moi à lire un livre tout en appuyant frénétiquement sur le bouton de la souris pour faire avancer l’intrigue. Les seuls exemples que j’ai pu croiser sur Internet ne donnaient vraiment pas envie de s’engager dans le genre. Puis, j’ai testé Katawa Shoujo…
Ça partait pourtant très mal
Pour parler de la création de Katawa Shoujo, il faut se pencher sur le site où tout a commencé, 4chan. Pour ceux qui ne connaissent pas, 4chan est un type de forum nommé imageboard, où toute discussion commence par l’envoi d’une image. Sur 4chan, il existe différentes catégories : animes, littérature, jeux vidéo ou voyage, par exemple. Mais un sous-forum fait la réputation très sulfureuse du site, appelé random, symbolisé par « /b/ ». Comme son nom l’indique, on peut trouver n’importe quoi sur /b/. Vraiment. Dans mes souvenirs, le seul sujet totalement banni de 4chan est la pédopornographie, mais à part ça, vous avez le droit de tout poster. Une première visite sur /b/ marque votre vie sur Internet…
Bref, en 2007 sur la planche animes de 4chan ont été postés des images présentant des jeunes filles possédant toutes un handicap physique. Les images ont acquis une certaine reconnaissance et plusieurs utilisateurs du forum émirent l’idée de créer un visual novel prenant pour base ces dessins. Petit à petit, un studio de développement, Four Leafs Studios, est fondé par vingt-et-une personnes uniquement pour développer ce qui va bientôt s’appeler Katawa Shoujo. Pour faire très rapide, des visiteurs du site que l’Encylopedia Dramatica nomme « le trou du cul du web » se sont mis d’accord pour faire un jeu de drague avec uniquement des filles handicapées à l’intérieur. Autant vous dire que l’Internet tout entier frémissait de terreur quant au possible résultat.
Après la sortie de l’acte 1 en démo en 2009, le jeu complet sort le 4 janvier 2012. Il est totalement gratuit, en anglais uniquement pour commencer mais rapidement traduit en plusieurs langues, dont le français. Très étonnamment, les différents tests sont assez élogieux sur la qualité du jeu, bien loin des cris d’horreurs que l’on attendait. Je télécharge alors le jeu, sans trop savoir de quoi il parle et sans autre expérience du visual novel que les quelques clichés que j’avais pu lire sur le net.
Cinq filles et un type
Vous incarnez Hisao Nakai, jeune lycéen lambda. Le jour où l’une de vos camarades de classe vous annonce sa flamme, votre cœur s’emballe et vous vous effondrez. Lorsque vous vous réveillez à l’hôpital après une longue intervention chirurgicale, on vous annonce que vous souffrez d’arythmie, une maladie cardiaque extrêmement grave qui pourrait vous tuer. Vous passez de nombreux mois à l’hôpital où petit à petit tous vos amis vont vous oublier, y compris cette fameuse fille qui voulait se déclarer. Au bout d’un long moment, vous apprenez que vous allez être transféré dans une nouvelle école, Yamaku, dont les pensionnaires sont tous atteints d’un handicap. A vous de réussir à vous intégrer, vous sociabiliser, trouver des amis, et pourquoi pas l’âme sœur.
Ainsi, vous allez vous lier d’amitié avec cinq filles qui ont toutes leur caractère propre. On trouve d’abord Shizune Hakamachi, présidente du conseil des étudiants et sourde de naissance, qui se balade toujours avec sa traductrice très énergique, Misha Shina. On fait également la rencontre de Lilly Satou, grande blonde nippo-écossaise aveugle et de son amie Hanako Ikezawa, brûlée vive dans un incendie et dotée d’une timidité maladive qui la rend incapable de parler à quiconque excepté Lilly. Enfin, on fréquente également Emi Ibarazaki, championne d’athlétisme amputée des deux jambes et Rin Tezuka, artiste peintre totalement dans la lune qui a perdu ses deux bras.
Katawa Shoujo reprend le système classique des visual novels, la navigation se fait par écrans fixes affichant le décor, le dialogue et la personne avec laquelle on parle. Très peu de choix de dialogues sont proposés au joueur : comptez en plus ou moins quatorze sur la durée du jeu. Ceux-ci vont vous permettre de choisir, à la fin de l’acte 1, la fille avec laquelle vous souhaitez approfondir votre relation. D’autre part, ce sont ces choix qui vont vous faire aboutir à l’une des trois fins (une bonne, une neutre ou une mauvaise) de chaque histoire. Petit aparté pour les plus pervers d’entre vous : oui, il y a des scènes de sexe dans le jeu. Mais elles restent relativement sages et bien ancrées dans la narration (en d’autres termes, ce n’est pas du porno totalement gratuit). D’autre part, il existe une option permettant de les désactiver. Si vous n’y jouez que pour ça, mieux vaut passer votre chemin.
I played Hanako’s route and I only cried for 20 minutes
Finalement, Katawa Shoujo est un visual novel tout ce qu’il y a de plus classique. La direction artistique et la musique sont très agréables mais ne bouleversent pas les codes. Pourtant, j’ai pris un très grand plaisir à y jouer et ce pour deux raisons. Premièrement, chaque fille fait l’objet d’un développement narratif poussé. Elles ne sont pas des personnages définis uniquement par leurs attributs physiques ou des traits de caractères clichés. Chacune a une histoire précise, des doutes et des blessures, des joies et un passé qu’il faudra explorer pour espérer devenir plus proche d’elle. Je ne dis pas que l’écriture atteint un style digne de l’Académie Française mais pour des amateurs, les développeurs arrivent à toucher le cœur des joueurs. Selon vos affinités, vous vous prendrez à vraiment vous impliquer dans le jeu et à ressentir les émotions que Four Leafs Studios a voulu faire passer. Pour ceux qui sont tout aussi fleur bleue que moi, attention, si vous commencez à sortir avec Hanako, vous vous exposez à des ascenseurs émotionnels tant son histoire est déchirante. Néanmoins, c’est pour moi l’histoire la mieux écrite des cinq proposées.
Ensuite, le regard sur le handicap de l’autre donne une énorme valeur ajoutée au titre. Avec des habitués de 4chan, on s’attendait à toutes les blagues faciles et dégueulasses sur les handicapés, et c’est l’inverse qui se produit. Le héros passe soudainement d’individu valide à quelqu’un souffrant lui aussi d’handicap. Cependant, sa vision est encore celle de quelqu’un qui n’est pas concerné par le sujet : doit-on faire attention à nos paroles si la personne en face est handicapée (par exemple : dire « Je vois » à quelqu’un d’aveugle, est-ce mal vu ou non) ? Est-ce qu’il faut changer sa façon de faire avec elle ou faire comme si l’on ne voyait rien ? Finalement, il se pose les questions que le joueur lambda se pose aussi. Les filles gèrent aussi leur différence chacun d’une façon propre : déni, acceptation… Katawa Shoujo développe toute une palette d’émotions et de réflexions, un véritable atout pour celui qui commence le VN.
J’ai pu lire que « Katawa Shoujo était le visual novel que va vous faire changer d’avis sur les visual novels ». Mon avis n’a pas tellement changé et je ne compte pas continuer mon exploration de ce type de jeu. Cependant, j’ai pris énormément de plaisir à découvrir ce titre. En tous les cas, pour la modique somme de zéro euro, vous pouvez vous aussi y jeter un œil !