Le Vent se lève


« Ça y est ! C’était le dernier… Je pourrai dire que j’y étais. C’était bien, non ? »

Au sortir de la salle de cinéma, c’est surement ce que s’est dit un bon nombre de personnes après avoir vu, non sans émotions, Le Vent se lève, ou Kaze Tachinu dans la langue de Mishima. Un titre que l’on doit à un poème de Paul Valéry, philosophe français. Mais pas seulement, vous allez voir.

Dixième réalisation du père Hayao au sein du studio Ghibli (prononcez Djibli), c’est une de ses premières amours, l’aéronautique, qui sème ses graines dans ce nouveau long-métrage sentant bon la nostalgie. Le Vent se lève est un hommage à deux personnalités japonaises que vous ne connaissez probablement pas : Tatsuo Hori et Jiro Horikoshi.

Leventselève_afficheLe premier est un écrivain japonais qui a inspiré directement Miyazaki pour ce film avec son livre intitulé, je vous le donne en mille, Le Vent se lève. Le second est un ingénieur japonais qui a créé le chasseur Zero ayant donné tant de mal aux américains dans le Pacifique de la Seconde Guerre Mondiale. Le film s’inspire librement de Jiro Horikoshi, de sa vie d’enfant jusqu’à l’achèvement de ce projet fou, celui de rattraper un retard technologique par rapport aux avions européen.
Ce background n’est pas sans intérêt puisque Miyazaki a, comme souvent, le trait de crayon ciselé et les mots justes pour nous donner à voir des histoires d’amour. L’amour de l’aviation, autobiographique, et celui d’une femme.

« Le vent se lève, il faut tenter de vivre »

Le scénario, en soit, n’a rien d’extravagant. Ici, pas de yōkai, ces démons japonais polymorphes, ni de divinités implacables. On est bel et bien ancré dans une réalité comme dans les films Le tombeau des lucioles d’Isao Takahata ou La colline aux coquelicots de son fils, Goro Miyazaki. Pour autant, Kaze Tachinu a quelque chose de propre au génie de Hayao : des personnages travaillés. Ils sont peu nombreux à attirer l’œil mais, chacun d’entre eux m’a fait fondre pour diverses raisons. Une mimique, une tonalité, un regard. Un langage du corps toujours saisissant chez Miyazaki.

Parce que les femmes ont un rôle prépondérant dans les œuvres du Maître, le personnage de Jiro est selon moi un des rares héros masculins de la galerie de Miyazaki à avoir une poésie enivrante. Souvent absorbé par ses rêves, il donne au film l’esprit fantastique qu’on n’attendait pas. Une imagination qui donne lieu à des scènes somptueuses, par le travail d’animation et d’inventivité. Touchant, Jiro se donne aussi à nous par une voix singulière, douce et monotone, à l’image de ce personnage délicieusement simple. Sa voix est d’autant plus singulière qu’elle appartient à un certain Hideaki Anno. Géniteur de Nadia et le secret de l’eau bleu (ode à la maison Ghibli), et surtout de l’ultra-populaire Evangelion, anime culte des années 90, il a commencé ses armes au studio Ghibli comme animateur-clé sur Nausicaa de la Vallée du Vent (la scène du soldat géant, c’est lui.) avant de prendre son envol pour devenir le grand réalisateur qu’il est aujourd’hui. Comme une sorte de récompense légitime de la part du Maître, j’ai presque envie de croire à une idée folle que je développerai en fin d’article.

Une mécanique bien huilée

Le défi aura été de mettre en avant une thématique et son cadre historique, celui de la Seconde Guerre Mondiale, au service de la poésie et non d’une propagande ou d’une critique virulente. Hayao Miyazaki donne une vision passionnée et passionnante de l’aéronautique, et pourtant je n’ai aucune affinité avec les A380 ou autres montures volantes. Il est d’ailleurs assez savoureux de comprendre que les bruits mécaniques sont remplacés par des bruits de bouche. Une facétie du Miyazaki du passé ? Tout est très schématisé et didactique, au point de rendre abordables des processus techniques retors. Les instruments sont fidèles à la discipline mais tout est étonnamment simple et beau. On regarde au travers d’un prisme sensible et artistique ce qui ne devrait être que purs calculs. Le cadre de la Seconde Guerre n’aura jamais été aussi évanescent. Les repères chronologiques arrivent assez tard dans le film, et un seul moment nous rappelle vraiment l’horreur qui se prépare en Europe. Un choix volontaire de Miyazaki de faire simplement honneur à la beauté de ces engins de mort et de l’ingénieur visionnaire qu’aura pu être Jiro Horikoshi.

Comme à l’accoutumée, on retrouve Joe Hisaishi à la composition. Sans donner dans le fantastique, il donne à ce film une couleur chaude, par une orchestration qui rappelle son travail sur Porco Rosso. De l’accordéon, de la guitare acoustique, des violons dansent sur des tonalités méditerranéennes entraînantes puis un piano délicat et son orchestre viennent déclencher l’émotion qu’on lui connait si bien. On retrouve également au générique l’interprète Yumi Matsutoya, qui avait déjà œuvré sur Kiki la Petite Sorcière. Une sublime musique écrite dans les années 70, qui finit de satisfaire une oreille déjà comblée.

J’aimerais aussi écrire un mot sur l’animation qui encore une fois surpasse les précédentes productions. Une volonté propre à Hayao Miyazaki, qui cherche manifestement à se dépasser sur ce point. Un reflet de lunettes par-ci, un jeu d’ombres par-là. C’est beau. Tout simplement.

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Qui sème le vent ?

Ce film, d’une durée de deux heures, ne comblera pas tout le monde. Déjà, il sera difficile pour les plus jeunes d’apprécier un film qui se veut sérieux et sans moments vraiment loufoques. Ensuite, les vieux râleurs trouveront que ça manque cruellement de monstres. Puis d’autres jugeront négativement la présence insistantes de cigarettes à l’écran. Je n’en veux pas fondamentalement à ces gens-là. Pour autant, il serait dommage de se passer du message de paix et d’amour de son prochain, cher à Hayao Miyazaki, qui plane dans cette œuvre au même titre qu’un amour passionnel, loin des clichés envahissants du 7e art, parcourant avec une grande sensibilité ce chant du cygne cinématographique.

C’est cette même passion qui, au moins six fois consécutives, l’a conduit à reprendre le travail plutôt que de prendre sa retraite. Aujourd’hui âgé de 76 ans, malgré une communication ferme sur son désengagement des réalisations de long-métrages, Hayao Miyazaki ne compte pas s’arrêter définitivement. Il compte se consacrer à un manga qui lui tient à cœur et à des courts-métrages qui seront diffusés à l’intérieur du roboratif et très visité musée Ghibli. Le souci, c’est qu’à l’heure actuelle, la relève au sein du studio Ghibli n’est pas du tout assurée. Un mal qui ronge le studio depuis longtemps, et fait planer un doute quant à la pérennité de ce dernier.

Alors, il y aura-t-il un après Miyazaki ? La question se pose. Le bourreau de père désavoue publiquement son propre fils, Goro, dans le métier de l’animation. Isao Takahata, qui a fondé le studio avec Miyazaki vient d’avoir 78 ans. En plus, son dernier film, L’histoire de la Princesse Kaguya, n’a pas fonctionné comme espéré au Japon. Vient alors le jeune Hiromasa Yonebayashi (40 ans) qui a réalisé Arrietty en 2011, et semble avoir un projet sur le feu. Suffira-t-il à combler les attentes des millions de fans en manque d’une figure paternelle ?

Une autre ombre s’immisce dans le raisonnement. Qu’en est-il de Joe Hisaishi? Indissociable des films de Miyazaki et fondateur du mythe, il n’a pourtant jamais œuvré pour les autres réalisateurs du studio. Un comble. Par contre, le départ de Miyazaki pourrait signer son retour auprès d’un autre grand du cinéma, Takeshi Kitano, qu’il avait quitté en 2002.

La fin d’une ère arrive inexorablement, mais tout n’est peut-être pas si noir. L’hypothétique fin du studio, aussi triste soit cette idée, ferait trôner fièrement au panthéon le travail accompli pendant trente merveilleuses années.

On peut également rêver à une renaissance flamboyante. Je vous avais promis quelque chose plus haut me semble-t-il, et voici donc ce qui serait la plus belle des déclarations au célèbre des studios japonais. En pur spéculateur, je me pose la question de savoir si d’autres réalisateurs japonais d’animation pourraient rejoindre la bannière emblématique, pour sauver l’aura internationale et intergénérationnelle du studio Ghibli, à commencer par Hideaki Anno lui même. Vous savez, le petit gars de Nausicaa. Le retour aux sources, la survivance d’une certaine idée de l’animation. Imaginez seulement ! On peut penser à un autre artiste souvent cité, qui, mine de rien, fait son bonhomme de chemin depuis quelques années maintenant dans l’animation japonaise. Je parle de Makoto Shinkai (5 cm par seconde, The Garden of Words) qui tient en respect Hayao Miyazaki, à qui on le compare souvent. Avec ses productions intimistes et léchées mais peinant à montrer des scenarii solides, il serait un parfait représentant à la succession du Maître. Et voilà déjà de quoi reformer une base solide à ce géant Totoro aux pieds d’argile. Je vous ai vendu du rêve là, non ? Ne me remerciez pas.

Ce qui nous permet de terminer sur une note agréable, vous pouvez aller voir le dernier film de Miyazaki en toute sérénité.

HayaoMiyazaki

Salut l’artiste!

PS : Attendez…, une rumeur ?