C’est quoi ces Notes?


Nous avons déjà fait mention en ces pages de notre sympathie pour un dénommé Boulet, Gilles Roussel au civil, amateur de One Piece et surtout auteur de Bédé. Issu d’une école d’art, c’est d’abord par ses publications dans la revue Tchô lancée par Zep qu’il met le pied à l’étrier et qu’il crée Ragnarok, personnage remportant un vif succès. Parallèlement à son activité de bédéiste « classique », il lance un blog en 2004 sur lequel il compile les petites anecdotes sur sa vie, et plus si affinité. Le public répondant présent, Delcourt lui propose alors de compiler ces billets dessinés dans les bien nommés Notes, qui se portent pas mal non plus au niveau succès puisqu’elles arrivent aujourd’hui au tome 7.

Boulet vous

Boulet, fils du Panda

Le style Boulet c’est avant tout de s’ancrer dans le jour-à-jour des trentenaires et de le décrire avec une certaine justesse, et surtout avec les mots et les références qu’il faut, facilitant aussi bien l’identification aux situations qu’une adhésion rapide. Il est certain que son dessin, à la fois fin et précis, école des beaux arts oblige, mais au style aisément reconnaissable (vive les petits traits), aide par son polymorphisme à raconter tout type d’histoires. Loin d’être, à son aveu, une autobiographie dessinée, il se met toujours de même en scène dans ses histoires, quitte à commencer parfois dans des détails du quotidien pour tout à coup basculer dans le délire merveilleux. Au point qu’il est presque aujourd’hui devenu lui même un personnage plus connu du grand public que ses créations, à son grand dam. La créature-créateur a supplanté son propre créateur.

Boulet concentré-sucré

L’avantage pour son public c’est de suivre son évolution en direct. Elle n’est pas forcément évidente lorsqu’on le lit au quotidien, mais l’édition papier de ses Notes nous la révèle au grand jour. C’est que le bonhomme a lancé ça à l’aube de ses 30 ans, acquérant au cours des 8 années passées une maturité qui se ressent dans ses envolées philosophiques ou ses réflexions. Alors qu’aux débuts de la publication on a droit à des petites anecdotes sur sa vie d’auteur et beaucoup de gags, on constate que, les années aidant, ces gags basent de plus en plus sur l’observation, qui fait souvent mouche, de ses contemporains, et qu’il n’hésite plus au fil des pages à se pencher sur des thèmes plus mélancoliques et poétiques. Comme beaucoup de gens de sa (notre?) génération, il est abreuvé de références, nostalgique de l’enfance perdue, bordélique, blasé, parfois cynique, surinformé, il doute de tout, est un peu geek, un peu loser, très roux, et parfois tout en même temps. Auteur de sa génération par définition, une sorte de Bref avant l’heure, sans les gimmic.

Boulet à calculer

On dit souvent que les scientifiques sont des artistes frustrés. On peut dire la même chose à l’inverse de Boulet. Non seulement à l’origine de La Rubrique Scientifique dans Tchô, il prolonge dans les pages des sept tomes de Notes ses remarques sur l’anatomie des dinosaures, sur la physique quantique ou les mondes parallèles. Jamais loin de la science-fiction, c’est sur ce dernier thème que le fil conducteur de ce dernier tome s’appuie. En véritable auteur, il génère sa propre mythologie, ses propres marottes avec des idées récurrentes sur divers thèmes qui lui sont chers. Car Notes, en plus de la qualité intrinsèque des planches, échappe à la simple compilation fainéante par une trame toujours dessinée pour l’occasion et qui donne une cohérence d’ensemble à l’album.

24 heures chrono

Ce qui transpire de Notes c’est un don évident d’assembler des délire mentaux et des références très diverses (bd, ciné, télé, monde de l’enfance…) pour faire des histoires cohérentes. Cette capacité d’improvisation scénaristique, il sait la mettre en œuvre lors des 24 heures de la bande dessinée inventées par Scott McCloud, référence ultime du monde du neuvième art avec une poignée d’autres. Exercice de style mettant les dessinateurs dans un état entre celui d’un marathonien et celui d’un savant fou vivant en ermite dans son laboratoire, ce concept oblige les participants à écrire et dessiner une histoire complète le temps d’un tour complet sur elle-même de notre chère planète Terre. Et force est de reconnaître que notre panda roux préféré fait preuve d’un grand talent pour cet exercice d’improvisation, lorsque l’on lit par exemple les 24 pages qu’il a su produire pour la dernière édition de l’évènement à Angoulème.

Notes et symphonie

Boulet sait aussi être fan

Derrière ces notes de plus en plus touffues on voit en filigrane une ambition : se lancer dans un projet de longue haleine, délaissant son côté amuseur pour plonger dans ces mondes plus oniriques pour les explorer dans une BD au long cours. Le défi est grand, d’une part parce que son public, aussi fidèle (après tout il achète sur papier ce qui est disponible gratuitement sur le net) qu’il peut être critique, en attend beaucoup. D’autre part parce qu’il est difficile de passer de l’histoire courte, où il excelle, au récit de longue haleine. Il s’y est essayé en scénarisant La Page Blanche, avec au dessin Pénélope Bagieu. Cette bédé, sorte d’allégorie sur la création artistique, entre amnésie du personnage qui cherche à ce reconstruire et syndrome de la page blanche bien connue des écrivains de tout poil, a été à la fois une surprise et une confirmation de ses obsessions. L’histoire y est touchante, mais la symbologie est un peu lourde et tend à perdre les lecteurs. Une œuvre cependant qui pourrait prendre de la valeur et du sens avec le temps.

Pour en revenir au sujet qui nous occupe, vous pouvez donc sans crainte investir dans ce septième tome des Notes. Pour les habitués vous ne serez pas dépaysés, au risque parfois d’une légère sensation de déjà-vu. Quant aux néophytes, en plus de l’envie des se plonger tout nus dans les méandres de son blog ou de rentrer dans une furie d’achat à même de relancer la croissance française, vous aurez un bel aperçu du tréfonds de la psyché de Boulet un auteur générationnel, polyfacétique, talentueux et (mais?) roux.

 

 

Notes 7

de Boulet

Éditions Delcourt Collection Shampooing

Sortie le 19 septembre 2012