The art of asking, ou l’art de demander par Amanda Palmer


C’est au cœur de la vie d’une artiste touche-à-tout que j’ai eu envie de vous plonger aujourd’hui. Amanda Palmer a sorti en 2014 son premier livre, The art of asking, mais avant de parler plus avant dudit ouvrage (uniquement disponible en anglais pour précision), une petite contextualisation s’impose pour comprendre pourquoi il a été écrit.

Couverture du livre The art of asking, d'Amanda Palmer

Un crowdfunding qui dépasse les espérances

Surtout connue des cercles « underground » depuis pas mal d’années grâce à ses différents groupes (Dresden Dolls et Evelyn Evelyn, entre autre) ou projets solo, Amanda Palmer a fait parler d’elle au grand public à la rentrée 2012, en devenant la première artiste à atteindre 1,2 millions de dollars de contributions sur le site de crowdfunding Kickstarter pour financer son dernier album, un artbook et une tournée de concerts. Autant dire un sacré doigt d’honneur à son ancienne maison de disque…

Ce succès inattendu (rappelons qu’elle ne demandait « que » 100 000 dollars au départ) n’est bien sûr pas allé sans critiques, plutôt virulentes pour la plupart. Toujours est-il qu’il a attiré les organisateurs des conférences TED (Technology, Entertainment and Design) qui ont proposé à Amanda Palmer une tribune d’une douzaine de minutes pour s’exprimer sur le sujet, le tout filmé et diffusé sur le web via plusieurs plateformes vidéo.

Le résultat est un discours plutôt intéressant intitulé The art of asking, dans lequel elle tente d’expliquer le pourquoi du comment de ce succès, et comment  le système du crowdfunding est intimement lié à sa conception de l’art et à la relation qu’elle entretient avec ses fans. Elle en profite également pour faire un parallèle avec sa carrière d’artiste de rue, où la notion de demande directe est au centre même de ce métier (car oui, c‘est un métier).

Plutôt qu’une description par le menu détail de ce qu’elle y dit, je vous laisse aller écouter et voir vous-même ce discours ici, qui totalise à l’heure où sont écrites ces lignes 9 347 959  vues, toutes plateformes de diffusion confondues.

 

Amanda Palmer lors de son TED Talk, The art of asking

De « vache à lait » à « consom’acteur » de contenu artistique ?

Du web au papier, il n’y a visiblement qu’un pas que son auteure a fini par franchir, en déclinant sur un peu plus de 300 pages son point de vue, assez atypique à l’époque.

En effet, elle raconte dans The art of asking or How I learned to stop worrying and let people help que grâce à la relation directe qu’elle entretien avec ses fans via les réseaux sociaux, son blog et durant ses concerts ou dédicaces, nul besoin d‘être signée chez un gros label pour que son public réponde à l’appel en finançant d’avance la conception de son nouvel opus : elle n’a eu qu’à demander leur aide.

Reprenant donc la substantifique moelle de son discours TED, elle étoffe de dernier dans The art of asking en l’illustrant de plusieurs périodes de sa vie (y compris les moins joyeuses). L’occasion de comprendre que cette manière d’envisager le financement de projets créatifs n’est pas neuve, car consciemment ou non, elle fonctionnait déjà comme cela du temps où elle faisait la statue dans la rue ou jouait au sein de ses différents groupes.

Ce qui transparaît plus globalement de The art of asking est que le système du financement participatif,  par son accroissement, semble remettre totalement à plat les frontières entre l’artiste et son public. En effet, l’idée est bel et bien de demander directement aux personnes appréciant son travail de participer financièrement à la concrétisation d’un projet. Et ce, en contrepartie du résultat dudit projet – ici un disque, sous forme dématérialisée ou non –  peu importe le montant de la donation. Résultat auquel s’ajoutent d’autres contreparties selon le montant du don. Et donc, sans passer par un intermédiaire qui en temps normal s’occuperait de produire sa conception et sa commercialisation.

Visuel Theatre Is Evil: the album, art book and tour d'Amanda Palmer

Donnez, donnez, dooonnez, Amanda vous le rendra

De là, ces intermédiaires peuvent  se poser à juste titre la question de leur place, si ce système se généralise dans le futur. Nous comprenons donc que le succès du Kickstarter d’Amanda Palmer ait fait grincer des dents ces derniers, mais aussi plus globalement la sphère artistique, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, ces plateformes n’ont aucun moyen de vérifier que l’argent donné sert effectivement le projet annoncé, ou que les contreparties promises sont envoyées. Le seul garde-fou étant que si le montant demandé pour que le projet aboutisse n’est pas atteint, les donateurs récupèrent leurs fonds.

Nombre d’escroqueries ont vu le jour via ce système depuis ses débuts. Forcément, quand les donations d’un projet atteignent une somme à sept chiffres comme cela a été le cas pour Evil Theatre, cela attire l’attention, positivement comme négativement.

Dans The art of asking, Amanda Palmer se dévoile également sur son passé, de son adolescence à sa rencontre avec l’auteur de science-fiction Neil Gaiman en passant par son avortement. Cet ouvrage devient au fil des pages un hybride entre autobiographie et essai dont on ressort en ne sachant pas trop quoi en penser. Un peu à l’image de son auteure en somme. Normal. Amanda Palmer fascine et agace à la fois, tant par la vénération (qui confine parfois à la déification) que lui vouent ses plus fervents fans que sa capacité à les fédérer autour de ses projets artistiques.

En effet, depuis la sortie de son livre, Amanda Palmer a franchi une étape supplémentaire en créant une page Patreon. Cette plateforme, l’équivalent chez nous de Tipeee, permet à des donateurs ponctuels ou réguliers de soutenir un·e artiste pour qu’il·elle puisse concrétiser ses projets. Actuellement, 11208 personnes soutiennent Amanda Palmer, à raison de près de 30000 dollars par mois (ici la liste de ce qu’elle a produit grâce à sa communauté depuis l’ouverture de la page). Ce système lui garantit la plus totale indépendance, la possibilité de rémunérer directement ses collaborateurs et de ne rendre de comptes qu’à sa communauté.

Pour conclure sur The art of asking, une petite anecdote personnelle sur la façon dont je l’ai obtenu, à sa sortie en 2014 :

Amanda Palmer n’avait de cesse d’appeler à l’entraide qu’elle prône, en proposant aux personnes en ayant les moyens d’offrir le livreà celles ne les ayant pas via son profil Twitter, devenu ainsi une plateforme d’entraide. Etant à l’époque dans la seconde situation, j’ai laissé un appel sur son profil, en promettant un morceau de ukulélé en vidéo à qui aurait la gentillesse de m’envoyer l’ouvrage. Je n’y croyais pas trop, jusqu’à ce qu’une jeune anglaise ne décide de m’envoyer le livre, reçu deux jours plus tard. J’ai ainsi répondu en vidéo à sa demande de morceau au ukulélé, à savoir Always look on the bright side of life. Comme quoi, il suffisait de demander.

Amanda Palmer and the Grand Theft Orchestra.

Non, les 1,2 millions $ n’ont pas servi à payer une tronçonneuse en or…
© Photo Shervin Lainez

The art of asking se démocratise

Il y a quatre ans, il paraissait relativement marginal, voire mal venu, qu’un·e artiste demande à son public d’acheter directement le résultat de son art. Aujourd’hui, ce système tend à se répandre, par exemple aux producteurs de contenus sur des plateformes comme Youtube.

En effet, plusieurs d’entre eux ont ouvert leur propre page Tipeee, afin de ne plus dépendre des revenus publicitaires générés par les vues sur leurs vidéos, de continuer à faire vivre leur chaîne en toute indépendance, de financer l’achat de nouveau matériel et des projets plus ambitieux. Certains ont également créé des campagnes de financement participatif, à l’instar de trois Youtubeurs Absol, Anthox Colaboy et Sir Gibsy qui, associés au dessinateur Le Dessinator, ont donné naissance à la BD Les FDP de Tubonia.

En parlant de BD, nous pouvons également évoquer le cas du dessinateur Souillon, connu pour son personnage Maliki. Il s’est entièrement affranchi du système éditorial traditionnel en ouvrant sa page Tipeee à laquelle contribuent en moyenne 1100 personnes par mois, ce qui lui a permis d’auto-éditer dernier recueil.

Bien entendu, les projets financés sur ces plateformes sont en général bien plus modestes, mais reflètent la volonté de nombreux créateurs d’entreprendre de la manière la plus libre possible, sans autre contrainte que de fournir un résultat qui plaira à la communauté fédérée autour du projet.

The art of asking or How I learned to stop worrying and let people help

de Amanda Palmer

Grand Central Publishing

352 pages, 27€ (16€ en version brochée)

novembre 2014

http://amandapalmer.net/theartofasking/