Un peu de rouge dans la BD


Pour finir en beauté cette semaine quinquennale, on se devait de voir si le monde des cases et des phylactères avait lui aussi servi la cause du bloc des Kamarades et de la vodka. En tant que médium protéiforme et surtout imprégnant de façon directe le faible cerveau de notre jeunesse, la bande-dessinée pouvait difficilement échapper à cette analyse. Attention, gros bloc (de l’Est).

Cette semaine en Gadget la Carte du Parti

Quand on évoque la bande-dessinée « rouge », il est difficile de passer à côté de ce qui fût un phénomène de l’édition d’illustrés, au même titre que Pilote, Tintin ou Spirou (le seul aujourd’hui survivant) émanant des défuntes éditions Vaillants, étroitement liées au Parti Communiste Français, Pif Gadget. En effet, s’il est aujourd’hui difficile de coupler aujourd’hui les mots de PCF et de succès, le magazine au clébard jaune et marron a réalisé dans les 70’s des tirages millionnaires qui feraient pâlir de jalousie n’importe quel grand patron de presse, tout ça grâce à l’habile combinaison de talents de la BD, d’histoires complètes et de gadgets encore cultes aujourd’hui. Certes, on parle ici d’un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître, puisqu’à part un soubresaut dans le milieu des années 2000, la parution de cet hebdo a cessé en 1993.

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Pif; le journal tout rouge

Malgré sa parenté avec le PCF, et le fait que son ancêtre s’appelait « Le jeune patriote », Pif Gadget n’avait rien d’un « L’humanité pour les enfants ». Il était un concurrent féroce dans la galaxie d’hebdomadaires illustrés de l’époque, et des divers tirages à plus d’un million où ses histoires de propriété des personnages, Rahan en l’occurrence, que ne renieraient pas les très capitalistes éditeurs de comics US, en font finalement un journal comme les autres. Qui a disparu comme les autres. Et surtout il proposait des BD couronnées de succès, dont le personnage titre, qui à l’instar d’un bon communiste à gravi les échelons, de simple ouvrier-strip sur les pages de l’Huma à mascotte-dirigeant de son propre journal, en passant par Vaillant débaptisé en 1963 en raison de son succès grandissant.

Le contenu éditorial de Pif, en sus des célébrissimes gadgets, était une bande-dessinée mêlant humour et réalisme, avec toujours un prisme humaniste. Pif, Hercules, Rahan, Pifou (Glop glop!), Dr Justice, Iznogoud, La jungle en folie, Léonard, le Concombre Masqué ou Corto Maltese, autant de personnages aujourd’hui cultes (surtout le dernier, avis très subjectif) et complètement intégrés à la culture populaire francophone qui ont en effet paru dans les colonnes de l’illustré préféré des jeunes Camarades (et de leurs camarades).

Pour qui serait piqué de curiosité, une abondante webibliographie existe sur la toile ici, ou encore ici.

Plus sociale que socialiste

Il est bien connu que la France est un pays de communistes, surtout pour nos amis américains. Entre les résistants, la forte adhésion du pays au courant dans les années 50 et les ministres adhérents au PCF qui ont fait partie de divers gouvernements, on pouvait difficilement y échapper. Et si on additionne à cela une profession de saltimbanques comme la bande-dessinée, on penserait trouver là un ramassis de gauchistes convaincus. Hors c’est plutôt le contraire et il y a assez peu d’exemples d’œuvres farouchement idéologisée. Par contre on retrouve une veine sociale chez un certain nombre d’auteurs, qui, s’ils ne se considèrent pas engagés, proposent tout de même des récits vocation humaniste.

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Pour cette image, j’ai demandé alignement à gauche

Etienne Davodeau, dont on a déjà parlé en ces pages, en est un des représentants. Il a, seul ou accompagné, su tracer un sillon d’auteurs singuliers et engagés, ayant à cœur de décrire des histoires avant tout humaines, comme celle des luttes sociales de ses parents dans les « usines à la campagne » des Mauges (Les Mauvaises Gens), ou encore, en association avec Kris, celle de la grève, réprimée dans le sang, des chantiers de reconstruction de la ville de Brest (Un homme est mort). La communauté, de Tanquerelle et Yann Benoît suit un peu le même schéma (un auteur recueille et dessine un témoignage), nous offrant un récit vivant et à la bonne distance d’une expérience communautaire à partir de la fin des années 60, loin de l’idée que l’on se fait des chevelus qui la peuplaient.

 
Le récemment Grand Primé de la ville d’Angoulème Baru peut être également classé dans cette catégorie. Amoureux des prolos, des loubards et autre faune de quartier populaire il raconte avec délicatesse et sans nostalgie dans Les années Spoutnik les rixes entre deux bandes de gamins de cités ouvrières sur fond de guerre d’Algérie et de mouvements sociaux. De l’autre côté du spectre, l’excellent Léon la Came de Nicolas de Crécy et Sylvain Chomet (celui des Triplettes de Bellevile) revient à travers les dessous (et les coups bas) d’une entreprise de cosmétiques avec le retour surprise du grand père, ancien patron-ouvrier et communiste convaincu qui vient semer l’anarchie dans cette famille bourgeoise, venimeuse et sclérosée.

Goulaaaaahrg

Si l’on sort du cadre français, qui s’est souvent nimbé d’un utopisme, voire d’un certain idéalisme naïf (on n’a pas dit œillères idéologiques), les différents régimes communistes n’ont pas laissé (et ne laissent pas) que des bons souvenirs, loin s’en faut. Là encore la bande-dessinée est un médium de choix pour raconter de manière simple et graphique les absurdités de ces régimes étouffants. Sans revenir lourdement sur Guy Delisle dont nous avons abondamment parlé dans ce webzine, il nous est indispensable de conseiller la lecture de Pyongyang et Shenzen. Ces deux ouvrages sont inspirés de ses expériences comme chef animateur dans deux pays communistes (Corée du Nord et Chine pour les plus nuls en géographie) aux destins économiques contraires. Dans les deux cas, l’étranger qu’il est est plongé dans l’absurde démesuré de ces « paradis socialistes », chacun des deux pays l’interprétant à sa façon, avec ses pratiques cultu(r)elles et ses coutumes étranges.

rougeBD_jeunesseLa BD de reportages connaissant un succès grandissant, aussi bien chez le public et les critiques que chez les auteurs, il était logique que l’un d’entre eux finisse par s’intéresser au lourd passif de l’URSS. C’est chose faite avec l’auteur italien Igort qui a publié deux ouvrages, les Cahiers Ukrainiens et les Cahiers Russes, revenant sur les histoires oubliées de l’époque soviétique. Et quand on dit histoires, c’est forcément des faits assez peu reluisants qui nous sont narrés. Les milliards d’euros de budget de Mandorine étant engloutis dans le lobbying et la R&D, nous n’avons pu parcourir que le premier cité, mais sa description de l’effrayante famine Ukrainienne organisée par le pouvoir central, et voulue par Staline, est aussi instructive qu’un programme d’histoire de Terminale.

Tout cela est bien beau, mais quid des témoignages directs? Un pays-continent tel que l’ex-URSS n’a-t-il pas laissé de traces illustrées de son histoire? En effet, il s’avère difficile de trouver des auteurs russes pur jus, qu’il s’agisse d’une raison culturelle ou idéologique, ou simplement d’un défaut de traduction des œuvres nous ne saurions dire. Cependant les ouvrages de Nikolai Maslov nous sont parvenus, et remplissent finalement bien ce rôle là. Plus désabusées que critique, ses œuvres, dont Une jeunesse soviétique, mettent l’accent sur l’ennui et le décalage d’une jeunesse dont les aspirations sont bridées par une bureaucratie plus gradée, plus âgée et surtout fermement engoncée aussi bien dans son siège que dans ses principes. Biture, ennui, mélancolie, c’est peut être ça la potion magique qui a si longtemps anesthésié le peuple russe.

Toi, tu vas moucher rouge

Comme nous le mentionnions précédemment, il est de notoriété publique les Etats-Unis nourrissent une aversion totale pour le communisme. Pourtant que ce soit au cinéma ou en bande-dessinée, régulièrement, les auteurs de fiction évoquent le sujet des régimes totalitaires et du communisme, de façon directe ou indirecte par la métaphore.

Déjà dans les années 50, des films comme L’invasion des profanateurs de sépultures étaient une allégorie de la menace communiste. Les morts-vivants, les aliens et autres monstres n’étaient que des avatars d’un marxisme prétendument menaçant. On ne va pas énumérer ici toutes les occurrences mais plutôt se concentrer sur quelques exemples dans des comics récents.

Si à l’instar du surhomme Alexei Stakhanov, les super-héros américains ont souvent été pris en exemple et élevé au rang de symbole, il faut reconnaître que lorsque par exemple Captain America lutte contre Red Skull, par la puissance du crâne ancestral, le symbole est fort.

Pour mémoire dans les deux chef-d’œuvre majeurs d’Alan Moore, le communisme reste comme un arrière-goût persistant. Dans Watchmen, les gardiens, l’ambiance baigne dans une tension de la Guerre Froide tout à fait perceptible et tout autant représentative de l’époque que son l’écriture. V pour Vendetta nous conte quant à lui la lutte contre un état totalitaire dans lequel le culte de l’image, les camps de travail et la répression sont monnaie courante. Rien ne pointe directement vers le communisme mais rien ne pointe non plus dans le sens contraire.

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Récemment on a pu voir des super-héros soviétiques dans quelques comics comme Kick Ass 2 et son personnage de Mother Russia ou le personnage de Boudin d’Amour leader du Glorieux Plan Quinquennal, une super équipe soviétique dans la série The Boys.

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Mais quand il est question de parler du rapport entre comics et communisme, la première chose qui vient à l’esprit est le Superman Red Son écrit par Mark Millar (encore lui) et dessiné par Dave Johnson et Kilian Plunkett.

Ce « What if … » nous raconte ce qu’il se serait passé si Superman était tombé dans un kolkhoze en Russie plutôt que dans une ferme du Kansas. A l’âge adulte, Superman revêt une tenue arborant la faucille et le marteau et devient le jouet et fils préféré de Joseph Staline pour propager et représenter les idées communistes.

L’histoire s’étend sur des décennies et repose quasi-totalement sur ce postulat de départ intriguant et amusant. On peut y voir apparaître divers super-héros dont le destin a été également bouleversé par l’obédience communiste de l’homme d’acier. Batman est un révolutionnaire dissident qui lutte contre le pouvoir soviétique, Wonder Woman passe la quasi-totalité de sa vie sur son île, Hal Jordan au lieu d’être un vrai Green Lantern n’est qu’un survivant de camp de prisonniers à la volonté inébranlable et Oliver Queen n’est qu’un simple reporter au lieu d’être Green Arrow. Lois Lane et Lex Luthor sont mariés, Jimmy Olsen est un agent de la CIA et c’est lui qui recrute Lex Luthor pour essayer d’éradiquer la menace que représente Superman.

L’histoire pleine de clins d’œil, de références et d’idées assez sympa ne devient vraiment passionnante qu’à la toute fin quand elle prend une dimension cyclique très rafraîchissante.

Au même titre que n’importe quelle politique ou régime, le communisme a su et sait encore inspirer les auteurs de tous bords, si les histoires sont toujours aussi passionnantes, on se dit pourvu que ça dure (plus longtemps que la chute du mur).