Pourquoi je n’achèterai pas le nouveau Fluide.G
Pour celles et ceux qui ne situeraient pas, Fluide. G est le « hors-série sexy de Fluide Glacial ». On peut donc s’attendre à de la bonne BD, du subversif, du sexe, des articles barrés et intelligents. Bref à du Fluide Glacial, avec moins de testostérone dedans. Le numéro 6 vient de sortir, mais les 5 premiers numéros m’ont dissuadée de l’acheter. Voici pourquoi.
Sur le papier, c’est bourré de références. Du haut de gamme. Côté bédé : Arthur de Pins, Pacco, Margaux Motin, Diglee, j’en passe. Côté rédacteurs : Monsieur Lâm (je parle d’un mag’ féminin, alors je commence par les mecs pour changer), Maïa Mazaurette, Vanesslabomba (alias Sophie-Marie, la chroniqueuse loufoque de La Matinale de Canal +), Salomé… Des plumes sympas, drôles, et numériques, que l’ont suit déjà avec plaisir sur leurs blogs respectifs.
Les magazines féminins c’est le mâle
J’ai un problème avec les magazines féminins : ils ne m’intéressent pas. Mais j’aime bien Fluide Glacial. J’ai donc craqué pour quelques numéros de Fluide.G, pour voir ce que ça donne. Si l’ont s’en tient à son slogan et à la réputation de son grand-frère, on s’attend à une revue mixant BD et chroniques, sexy sans complexes ni fausse pudeur, avec juste ce qu’il faut de décalage et de mauvais goût dedans. Décalage que l’on retrouve immédiatement à l’ouverture du mag’ : l’édito de Madame.G, la rédac’chef de Fluide .G, la met en scène dans des situations un peu absurdes, voire grotesques (mention spéciale à la combinaison de plongée jaune moutarde du Spécial Été).
Pour ce qui est de la BD, on trouve des choses sympas, notamment la prépublication du dernier Margaux Motin, réalisé en binôme avec Pacco (Very bad twinz) mais aussi des strips plus courts, qui vont des blablas de filles aux histoires d’épilation, de sexe et de bébés.
Fluide perd son mojo
Le tout nous est servi de manière joyeusement foutraque, mais manque cruellement d’unité. A la lecture, j’ai eu la désagréable sensation d’avoir imprimé plusieurs articles glanés dans la journée sur le web, de les avoir agrafés ensemble, pour les lire ensuite tranquillement dans mon lit. Sachant que Fluide.G est un trimestriel à 4€90 le volume, c’est quelque peu déroutant1.
C’est là tout le fond du problème. A quelques exceptions près, lorsqu’on lit la revue, une sensation tenace de déjà-lu – en mieux – nous attrape. J’ai beau vouloir soutenir les rédacteurs du mag’, je lis avec plus de plaisir leurs pérégrinations sur le web. Je ne sais pas si c’est parce que le format leur convient mieux, ou si Fluide.G préfère reproduire des thèmes à succès, plutôt que de créer du neuf, mais l’impression est là. Morceaux choisis:
- « Tu n’est pas une fille, et alors? » : thème vu et revu sur Madmoizelle, à savoir « qu’est ce qu’une vraie femme ? ».
- Les faux Twitter des stars, c’est plutôt drôle à lire, mais là aussi, c’est du déjà vu – notamment sur l’excellent blog d’Odieux Connard, avec ses faux profils Facebook.
- « Habille toi comme Beth Dito » ressemble à un remix de la mode pour « rondes » (c’est à dire à partir de la taille 40) qu’on trouve de temps à autres dans Elle, Cosmo et consorts : de la pub déguisée pour certains marques de fringues.
Il y a finalement un fossé entre les pages BD, remplies d’inédits créés pour le mag’, et les articles « de fonds » qui peinent à décoller.
Fat is beautiful ?
En soit, Fluide.G aurait pu rester un divertissement sans prétention, qu’on lit tranquillement pour occuper une pause déjeuner solitaire, ou dans la salle d’attente du garagiste. Mais le lecteur devient plus exigeant lorsque la revue verse du côté de l’humour noir. Autant être directe, la tentative du numéro 5 « Spécial grosse et moche » (du pain béni pour les amateurs d’humour bête et méchant, dont je fais partie) est quelque peu ratée. Et l’humour noir raté, c’est très souvent indigeste.
L’idée de base est amusante : un numéro spécial à contre-courant total des féminins actuels qui prônent soit la minceur à tout prix, soit les rondeurs harmonieuses. Pourquoi pas un numéro qui prendrait au premier degré ces idées d’un autre monde ? Ça commencerait par nous défouler et nous faire rire, ce qui est déjà pas mal.
Toute la difficulté se trouvait là : écrire des articles bourrés d’humour noir, avec assez de talent et de second degré pour que l’on comprenne l’ironie et le détachement qui se cachent derrière. Malheureusement, le résultat fit douter certains lecteurs des intentions et du bienfondé de ce numéro.
En plus de tomber à plat, le soufflé nous laisse un goût étrange dans la bouche. Il manque du décalage (et la dénonciation, espérée, de l’anti-gras à tout prix), dans ces pages. A force de nous noyer sous les images de mauvais goût et les chroniques de personnes minces à propos des gros de leur entourage, on peine à déceler l’humour, et l’intérêt d’avoir choisi ce thème. On ne sait pas vraiment si ce numéro est du premier, du second ou du millième degré. Et on se demande au final s’il n’y a pas d’arrières-pensées derrière cette débauche de rose fluo. J’ai beau être une fervente cliente de l’humour noir, je n’ai pas ri à la lecture de ce Fluide.G. Et j’ai beau être féministe2, je ne vais pas défendre à tout prix un projet raté, sous prétexte qu’il prétend soutenir la cause des femmes.
Le message passe mal, et c’est bien dommage, car l’intention est louable et certains articles en valent vraiment la lecture. Je vais donc revenir à la lecture des blogs et sites des rédacteurs de Fluide.G.
2 J’ouvre une parenthèse. Il est légitime de se déclarer féministe sans pour autant militer « sur le terrain ». Quand on lit, comme ici, en réponse aux critiques, « Les personnes qui critiquent nos actions, que font-elles concrètement pour défendre la cause des femmes ? » (je paraphrase), la pilule passe mal. Et ce n’est pas une réaction isolée, puisque le collectif La Barbe a réagi de la même manière après s’être fait critiquer pour son passage médiocre au Petit Journal de Canal +. Féministe n’est pas forcément synonyme de militante au sein de diverses associations. Être féministe, c’est avant tout vouloir faire reconnaître ses droits en tant que femme. Et cela peut se faire au quotidien, sans cadre prédéfini. Ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières.